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Agressions sexistes et réponses racistes

Alix Heiniger dénonce «l’instrumentalisation à des fins xénophobes des violences contre les femmes».
Violences sexuelles

Depuis le début de l’année, l’Europe semble découvrir les violences sexuelles contre les femmes dans un large mouvement de stigmatisation des étrangers et en particulier d’une catégorie parmi les plus précarisées qui est celle des réfugiés. Cette racialisation des violences sexuelles et sexistes n’est pas un fait nouveau. On a pu l’observer en France dans les débats à propos du «phénomène des tournantes» qui stigmatisent largement les jeunes des banlieues issus de l’immigration.

Encore une fois, nous assistons à l’instrumentalisation à des fins xénophobes des violences contre les femmes. Après les agressions sexuelles qui ont eu lieu à Cologne lors des festivités du Nouvel An, la presse, suivant les déclarations des pouvoirs publics, a prétendu qu’elles étaient majoritairement le fait de «réfugiés arabes». En l’état actuel des informations diffusées, il est difficile de dire ce qu’il en est vraiment. Très peu d’éléments ont filtré sur le contenu des témoignages des femmes agressées et la police n’a procédé qu’à une trentaine d’arrestations pour le moment.

Néanmoins, on a entendu les plus abjectes idées à propos de ces prétendus agresseurs et notamment le fait qu’un isolement prolongé dans les structures d’accueil en situation de non-mixité aurait pu favoriser un besoin irrépressible de sexe, comme si les agresseurs n’étaient pas capables de se contrôler. C’est pousser l’absurde très loin si on y regarde d’un peu plus près.

D’abord, une agression sexuelle ne peut en aucun cas être assimilée à du sexe. Elle n’a rien à voir avec celui-ci. Elle est le produit de la domination masculine, la manière qu’ont les hommes de signifier aux femmes qu’ils peuvent disposer du corps de ces dernières, qu’elles doivent se soumettre à leur volonté. Les agressions sexuelles s’inscrivent dans un continuum qui commence avec les publicités sexistes qui exploitent les corps des femmes pour faire la promotion d’un produit. Il se poursuit dans les insultes et les «plaisanteries» (y-a-t’il vraiment une différence?) sexistes. Dans l’exclusion des femmes de certaines sphères de la société (les conseils d’administration par exemple) et la construction d’un entre-soi masculin fondé sur cette exclusion. Elle se termine parfois par la mort des agressées. Chaque année en Suisse, les femmes sont cinq fois plus nombreuses que les hommes à mourir de violences de leur partenaire. Et on oublie parfois un peu rapidement que celles qui tuent le font aussi pour se protéger.

Une autre raison de ne pas croire que les réfugiés seraient incapables de résister à «leurs pulsions» relève du bon sens. Ils constituent une population hautement précarisée, souvent privée de toute attache ou de réseau familial. Ils ont fui la guerre et les violences et savent que leur statut en Europe est fragile. Ils ont pu en juger à la manière dont ils ont été reçus et aux multiples obstacles qu’ils ont franchis pour arriver jusqu’en Europe. Alors, dans ce contexte, pourquoi risquer de tout perdre? De mettre en péril des mois de voyage et l’abri incertain qu’ils ont enfin trouvé?

Enfin, il n’y a aucune raison de croire que les étrangers, et les réfugiés venus du continent africain en particulier, seraient plus prompts à l’agression que les hommes blancs européens. Les enquêtes de victimisation (fondées sur un échantillon aléatoire de la population et non sur les statistiques de police) ont montré que les agresseurs appartiennent à toutes les catégories de la population et à toutes les origines sociales et géographiques. Ainsi, accorder foi à l’idée que l’origine géographique aurait un lien avec le fait d’agresser une femme constitue une racialisation des violences et de l’agresseur. Ceux qui la soutiennent ne cherchent pas à défendre les droits des femmes, comme ont pu le prétendre certain-e-s politicien-ne-s subitement converti-e-s à la lutte contre les violences (notamment Angela Merkel ou les leaders du mouvement Pegida), mais à stigmatiser les prétendus agresseurs en les renvoyant à une image bestiale, étrangère à «notre civilisation». Les partis d’extrême-droite prétendent tout à coup défendre les droits des femmes, alors qu’ils prônent le contraire dans leur programme (menaces sur le droit à l’avortement, contre le planning familial, la contraception, renvoi à la maison, etc.). C’est pourtant bien «notre civilisation» qui a produit le système hétéro-sexiste dans lequel nous vivons, qui est le véritable creuset des violences faites aux femmes en Europe. Qu’il s’agisse d’exclusion des lieux de pouvoir, de l’exploitation de leur corps, de la stigmatisation dans l’espace public, des insultes ou des «plaisanteries» sexistes, ces éléments ne sont pas apparus en Europe avec les réfugiés. Mais le pire dans toute cette histoire est que, maintenant, les élu-e-s et les médias se demandent ce qu’il faut changer dans la politique à l’égard des réfugiés et pas ce qu’on doit changer pour que les femmes soient en sécurité.

* Genève.

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