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Chercher la vérité au cœur du mensonge

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Pendant les journées de festivités que nous venons de vivre, j’ai fait comme tout le monde: j’ai souri, embrassé, adressé mes cadeaux et mes vœux, j’ai fait bombance, j’ai pétillé de champagne, je me suis répandue en signes visibles d’affection, j’ai irradié d’une joie illuminée par le déploiement outrancier des guirlandes et des bougies… En vérité, je déteste Noël et cette période de course éperdue vers le confluent des années. Mensonge? Pas vraiment. Tout est vrai, mais figé dans une stratification de sentiments superposés: sourde angoisse au plus profond, cafard et mélancolie par-dessus, et l’amour tout en haut, au bord des lèvres. Mon cas n’est ni désespéré ni singulier: la société entière vit dans le déni et le faux-semblant. Pour le commun des mortels, la vérité n’est jamais qu’une forme d’accommodement intime avec le mensonge; elle se construit, d’approximation en approximation. La dissimulation est parfois plus charitable que la révélation.

En revanche, dans notre monde politique et économique, le mensonge est partout, et le répertoire des mots pour désigner les manigances industrielles, bancaires ou sportives est pléthorique: entre la fraude et l’arnaque, la mystification et l’escroquerie, la tricherie et la supercherie, la duplicité et l’imposture, la tromperie et l’affabulation, la magouille et la duperie, la fourberie et la frime, il y a de quoi régaler les fornicateurs du profit, les corrupteurs multiples ou les jongleurs de la finance. L’année 2015 nous a gratifiés d’une flopée de scandales, ourdis par une cohorte d’institutions en délicatesse avec la vérité. On a adoré, pêle-mêle, le sirop à la fraise sans fraises et autres avatars alimentaires; les pots de vin transitant par les poches des pontes de la FIFA; ou les amphigouriques justifications des banques suisses face au fisc américain. Mais la palme revient aux prouesses hors pair des constructeurs de «Das Auto» et leur logiciel menteur installé sur les véhicules VW.

La numérisation de notre monde a permis de remarquables progrès dans le maniement de la tromperie: la falsification prend l’ampleur d’une industrie, elle s’institutionnalise, elle s’érige en système. L’économie néolibérale fonctionne selon une logique totalitaire dont l’essence même semble être le mensonge. Chaque jour apporte son lot de révélations, qui s’emboîtent les unes dans les autres comme des poupées russes, ou comme des dominos qui tombent l’un après l’autre. Nous assistons, atterrés, à l’effondrement des châteaux de cartes, tout en soupçonnant que ni le système ni les profits n’en seront affectés, malgré les amendes. Impossible de dénicher un coupable qui aurait commis un crime ponctuel, isolé, punissable. Les entreprises prises en faute s’excusent globalement, peinées de «ne pas avoir été à la hauteur», comme si leur plus grande faute était de s’être fait prendre.

En effet, ce qui m’a frappé dans les débats qui ont animé l’automne autour du feuilleton VW, c’est la tendance à mettre la faute sur les victimes plutôt que sur les tricheurs. Le lobby automobile a d’abord évoqué un complot des Etats-Unis au profit de leurs propres marques. Ensuite il a attaqué l’Union européenne pour ses normes inapplicables; puis les écologistes, avec leurs exigences dogmatiques; enfin, suprême insulte aux clients de la marque, il a critiqué leur crédulité, comme s’ils auraient dû comprendre que les slogans publicitaires vantant les merveilleuses qualités «vertes» de leurs véhicules n’étaient précisément que des slogans. De toute manière, les émissions produites par ces moteurs, s’empressèrent d’ajouter les importateurs, dépendent surtout des automobilistes et de leur façon de conduire. En résumé, si les mensonges marchent, c’est qu’il y a des gens assez stupides pour les croire.

Et pourtant… Si aujourd’hui je peux raconter toutes ces escroqueries, c’est que quelqu’un les a dénoncées. Les lanceurs d’alerte, les Falciani, les Snowden, les Assange détricotent les scénarios frauduleux en donnant l’impulsion au jeu de dominos. Leurs révélations ont fait perdre de leur superbe aux grands de ce monde, dont certains n’ont pas craint d’affirmer qu’elles constituaient un acte de terrorisme. Or il n’est même pas nécessaire de voler des données: des ingénieurs américains, des associations comme Transports et environnement, des journalistes, Wikileaks pour la politique, l’opération Swissleaks pour les banques, tous s’emploient à démêler l’écheveau. «Wikileaks pourrait devenir l’organe de renseignement le plus puissant du monde, l’organe de renseignement du peuple», proclame son site internet. En attendant, pour surmonter le sentiment d’impuissance, on peut toujours se souvenir de la formule attribuée à Abraham Lincoln: on peut tromper tout le monde un moment ou quelques personnes tout le temps, mais pas tout le monde tout le temps!

* Ancienne conseillère nationale.

Opinions Chroniques Anne-Catherine Menétrey-Savary Transitions

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lundi 8 janvier 2018

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