Chroniques

De la politique et des femmes

POLYPHONIE AUTOUR DE L’ÉGALITÉ

Voici une chronique qu’on ne pensait plus devoir écrire. Certes, la Suisse a attendu longtemps pour voir les femmes voter, puis être élues, mais on avait l’impression, tant bien que mal, qu’elles trouvaient petit à petit leur place dans l’arène. Bien sûr, nous sommes encore loin de la parité politique, mais l’illusion de l’égalité réalisée s’est infiltrée là aussi…

Ces dernières semaines, avec la campagne pour les élections fédérales, puis avec l’élection du Conseil fédéral, il nous a bien fallu nous rendre à l’évidence. La chose politique, comme d’ailleurs la chose publique, reste largement une affaire d’hommes. «Un pas en avant, deux pas en arrière» résume, en ce moment, assez bien la représentation féminine dans ce domaine.

Prenons la campagne pour le parlement, combien de partis ne se sont pas sentis obligés de proposer des listes paritaires? Une amie en séjour en Suisse n’en a pas cru ses yeux; comment est-il possible dans ce pays modèle de la démocratie que trois mâles se partagent les devants d’une affiche? Elle s’étonnait qu’aucune contrainte n’imposât la parité sur les listes, ou mieux que les partis eux-mêmes n’imaginassent qu’il fût plus tactique de proposer des femmes et des hommes pour intégrer les plus hautes fonctions de l’Etat.

Plus encore, un discours viriliste a contaminé la campagne. Certains tribuns se sentant obligés de rappeler, comme si la situation quotidienne ne nous le signalait pas suffisamment, qu’il fallait une bonne dose de testostérone pour croiser le fer en politique et surtout qu’il fallait prémunir la politique de la féminisation qui la menaçait.

Mais surtout, ces dernières semaines, nous avons vu, en Suisse comme en France, l’extrême droite gagner du terrain, et avec ces partis, les droits des femmes (et pas uniquement les leurs bien sûr) en perdre.

Prenons la Suisse pour commencer. A aucun moment dans la composition du ticket à trois, l’UDC n’a semblé imaginer proposer une femme. Il a été question des régions linguistiques, de la capacité à faire des compromis, mais de la mixité, pas un mot! A croire qu’il n’y a que des ténors (il est vrai que dans ce registre, on parle rarement des soprani ou des alti de la politique). En face, les autres partis ont débattu de la pertinence des candidats, mais aucune voix pour dire qu’en 2015, on pourrait attendre d’un parti qui prétend représenter une majorité de la population et entend réactualiser la formule magique, qu’il présentât au moins une femme.

En France, le Front national est incarné par deux femmes. De là à croire que ce parti est tourné vers l’égalité, il y a un pas que personne n’imaginerait franchir. Ces deux femmes ont surtout pour mérite de porter le nom du patriarche. Qu’elles s’en distancient ou restent dans sa ligne, qu’elles soient de redoutables stratèges politiques ou de simples faire-valoir, leur succès est lié à la perpétuation d’un règne. Ce à quoi nous assistons avec le FN n’est pas tant une avancée des femmes qu’un démantèlement de la loi salique, au bénéfice du clan en place.

Dans un cas comme dans l’autre, avec toutes les différences de ces deux formations politiques, l’arrivée de l’extrême droite signifie des coupes dans les budgets publics et la remise en cause de droits chèrement acquis. Qu’il s’agisse de l’emploi féminin avec le retour d’un discours sur la valorisation du travail ménager ou des attaques contre le droit à la contraception et l’avortement (en coupant dans les subventions des centres de planning) en France. C’est aussi, dans le cas de l’UDC, des attaques répétées contre les bureaux de l’égalité, un refus de reconnaître les inégalités salariales et les discriminations dont sont victimes les femmes. L’extrême droite au pouvoir, qu’elle prenne les habits d’une figure «bonhomme» à la Parmelin ou qu’elle se féminise à l’instar des Le Pen, est une réelle menace pour l’égalité et les droits des femmes. N’en déplaise à nos ami-e-s socialistes qui, de chaque côté du Jura, oublient que ces formations menacent nombre de valeurs inaliénables et qui les soutiennent (car issues du même canton) ou encore se retirent au nom d’un prétendu front républicain, leur laissant le champ libre et participant en creux à leur succès.

Face à ces désastres programmés en matière d’avancée du droit des femmes, regardons avec émotion le combat des Saoudiennes pour leur première campagne de vote, et allons voir Suffragettes, un film qui nous rappelle que nos acquis ont été gagnés grâce au courage de certaines. Et ne nous laissons pas berner: ce n’est pas parce que l’industrie cinématographique s’y intéresse que ce combat est gagné ni qu’il serait désormais obsolète…. En 2016, il faudra se battre pour préserver nos acquis!

* Investigatrices en études genre.

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