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Le cerveau-émissaire

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Je me souviens de Paul à huit ou neuf ans. Passionné par les sciences, il connaissait tous les dinosaures par leurs noms latins! Il dominait plein de techniques et était très habile dans les jeux vidéo. Dans lesquels il aurait passé ses nuits si des adultes incompréhensifs ne l’avaient obligé à dormir. Des jeux de guerre, où l’on vise, tire, explose, pulvérise, étripe, désintègre et bombarde. Il était costaud, mais avec deux ans de moins que ses camarades de classes. Plus petit, il compensait par la vitesse, la ruse et ce que l’on appelle «mauvaise foi» (comme s’il y avait une bonne foi !). Face aux machines et aux jouets, il avait une approche naturaliste: disséquer et casser pour comprendre comment ça marche. D’ailleurs, il faisait la même chose avec les animaux, à l’exception des chats, qui avaient un statut privilégié dans la sensibilité familiale et prioritaire dans la sienne. Ce dur de la récré avait des exclamations de mamie à matou s’il rencontrait un félin et le chat de la maison était le pôle central de son affectivité! Côté scolaire, Paul avait de bons résultats, surtout en maths, parfois en français, si le sujet portait à l’imagination… et s’accommodait de son agressivité! Mais il travaillait rarement à la maison, seulement sous contrainte maternelle et après protestation des enseignants. Ce qui ne l’empêchait pas de réussir, à des niveaux peu exigeants, au milieu d’élèves de milieux sociaux très défavorisés par rapport au sien.

Paul mentait souvent, chaque fois que ça l’arrangeait, et semblait n’en éprouver aucun scrupule. Au désespoir d’une mère qui le voyait déjà condamné à sombrer dans la délinquance et le grand banditisme à l’adolescence. Il n’était pas immoral, mais amoral. Insensible à la détresse des autres, sauf celle de ses chats. Et même pas d’autres animaux qu’il torturait, soit pour comprendre «comment ça marche», soit «pour voir ce que ça fait de mourir».

Joli gosse et beau parleur, Paul usa très tôt de son pouvoir de séduction, tant vis à vis des parents et autres adultes, que des filles et de ses camarades. Vers dix ans, il avait déjà brisé les cœurs des plus belles et trahi plusieurs fois tous ses amis. Sans se faire beaucoup de vrais ennemis, tellement il manipulait son entourage, à l’exception d’un enseignant alcoolique, qu’il ridiculisait.

L’intelligence et la précocité de Paul étaient étonnantes, mais c’étaient des obstacles à son intégration sociale. Son érudition scientifique en faisait un extra-terrestre pour ses camarades comme pour les adultes, seuls interlocuteurs possibles de certaines de ses conversations. Il les plongeait parfois dans la stupeur par des interrogations philosophiques précoces. Que ce soit sur la mort ou sur la morale, qu’il considérait, semble-t-il, comme un marchandage…

Un jour, pris la main dans le sac par sa mère pour un acte inexcusable, il a sorti cet alibi incontournable: «ce n’est pas moi, c’est mon cerveau!». Une version scientifique d’un classique enfantin qui consiste à trouver dans une poupée, un objet transitionnel, ou un absent, le responsable d’un méfait ou d’un accident responsable. La différence, c’est que la défausse de Paul supposait la notion d’inconscient et accusait le fonctionnement rapide et non volontaire de son cerveau d’avoir débordé la lenteur de sa pensée consciente et morale. Ce que sa mère ne pouvait réfuter, partagée, une fois de plus, entre devoir répressif et admiration de son grand manipulateur de rejeton…

Le cerveau coupable du petit Paul n’est pas une exception. Nos émotions et notre inconscient – qu’il est nécessaire de disséquer et démonter pour y voir clair – nous font sans cesse prendre des décisions simples et agir dans des directions qu’un corset de conditionnements moraux et philosophiques font diverger de ce que la raison, lente et compliquée, suggérerait. Le cerveau du petit Paul, c’est le nôtre, sensible aux récompenses et punitions immédiates; philosophique, scientifique et moral, seulement quand il en a le temps et l’envie…

* Chroniqueur énervant.

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lundi 8 janvier 2018

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