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Continuer à avancer

À votre santé!

L’ONG Médecins du Monde Suisse tient à Idomeni, en Grèce, un poste de santé depuis début septembre 2015, en collaboration avec ses homologues grec et anglais. J’ai eu l’occasion de passer quatre jours, à la mi-octobre, dans ce camp de transit à la frontière gréco-macédonienne où s’effectue le difficile travail d’assurer des consultations médicales pour les réfugiés venus du Moyen-Orient et en route pour l’Europe.

Souvent, au début, les demandeurs d’asile marchaient depuis Thessalonique le long de la voie ferrée, sur quelque 70 kilomètres, et tentaient ensuite de monter dans un train dès leur arrivée en Macédoine. Tout s’est accéléré dès la fin août, depuis que le flux des migrants cherchant un refuge en Europe s’est amplifié et que la Macédoine a ouvert ses frontières. Il a fallu tout organiser et, au départ, Médecins du Monde (MDM) était seul à donner des consultations médicales, sous une tente de fortune.

Ce sont ainsi entre 4000 et 10 000 demandeurs d’asile qui transitent tous les jours depuis lors. Ils restent en principe quelques heures au sein de ce camp réalisé dans l’urgence; MDM y travaille maintenant de concert avec le Haut-Commissariat pour les réfugiés, Médecins sans frontières, la Croix-Rouge grecque entre autres. Les réfugiés arrivent depuis deux mois le plus souvent en car, par vagues, en fonction des ferries organisés par le gouvernement grec pour amener les personnes depuis les petites îles grecques proches de la côte turque, comme Kos ou Lesbos – il faut saluer le travail remarquable des autorités grecques. Ils arrivent à toute heure, si bien que la vie du camp a dû s’organiser 24 heures sur 24. L’afflux est même plus grand pendant la nuit. A leur descente du car, ces personnes sont organisées par groupes d’environ 50, en fonction du passage régulé par les autorités macédoniennes. Pendant leur séjour au camp, les réfugiés reçoivent un peu de nourriture et ont accès à de l’eau potable, des douches et des toilettes, ainsi qu’à des soins médicaux. Ils disposent enfin d’un toit, indispensable pour la nuit, contre la pluie… et le froid qui constitue maintenant, et pour les prochains mois, un réel défi à affronter.

C’est très impressionnant de voir ces gens dont la moitié sont des femmes et des enfants transiter par là, surtout quand on sait d’où ils viennent et le parcours qui les attend encore avant d’arriver dans un pays européen où, malheureusement, ils ne seront pas forcément les bienvenus. J’ai vu des personnes âgées, par exemple un couple de près de 80 ans, qui fuyaient seules les bombes de Syrie. Ou encore cette jeune femme qui m’a montré son petit enfant de 33 jours, juste pour se rassurer qu’il allait bien. Elle venait de Damas avec son mari, mais avait dû accoucher au «village» parce qu’aucun hôpital de la ville n’est à l’abri d’une bombe, et elle a fui juste après, à un moment de la vie où, en principe, une femme se concentre sur son bébé et ne pense pas à voyager. C’était une femme d’à peine 20 ans, de la classe moyenne, qui parlait bien l’anglais… Elle avait traversé la mer, son bébé dans les bras, et savait qu’il ne fallait «pas bouger si l’on veut arriver à bon port», m’a-t-elle dit.

L’ONG Médecins du Monde effectue à elle seule près de 150 consultations par jour, essentiellement pour des refroidissements et des menues blessures, mais aussi parfois pour des situations plus sérieuses, comme cet enfant voyageant seul avec un problème rénal aigu grave, qu’il a fallu adresser à un hôpital grec, ou encore cette jeune femme qui allait accoucher et que l’on a réussi à faire passer rapidement en Macédoine où elle a pu être prise en charge par la Croix-Rouge locale. Il y a aussi ceux qui souffrent d’une maladie chronique et qui nous demandent de quoi poursuivre leur traitement car ils ont souvent tout perdu au moment de la traversée de la mer, ou leurs médicaments ont été rendus inutilisables par l’humidité. Les gens nous disent leur reconnaissance, et combien ils se sentent bien accueillis en Grèce, ce qui contraste tellement avec ce qu’ils ont vécu avant. Et peut-être aussi après… mais c’est une autre histoire. Ils sont dignes, simples, décidés à continuer coûte que coûte leur voyage. Souvent très fatigués, ils refusent des médications qui pourraient les rendre somnolents car ils n’en ont pas le temps… il faut continuer à avancer. Et c’est vraiment touchant de voir ces grappes d’enfants qui suivent leurs parents, juste parce que c’est ainsi, dans un calme parfois pesant.

Depuis peu, la situation du camp est tendue et doit faire face à un nouveau défi: la Macédoine a érigé elle aussi une barrière de barbelés dans l’intention de filtrer les migrants en fonction de leur nationalité, sans égard à leur statut de demandeurs d’asile fuyant des situations insoutenables dans leur pays. Des personnes refoulées ont envahi les tentes où se déroulaient les consultations médicales. MDM n’arrive dès lors que difficilement à assurer les soins. Cela à cause de cette décision inique et inefficace de la Macédoine de trier les migrants… ne faisant d’ailleurs qu’imiter ce qui se pratique aux frontières suivantes. Il semblerait que ces migrants ne sont que des numéros que les gouvernements se renvoient.

Et pourtant, quand on est là, au milieu de nulle part, à Idomeni, avec cette foule qui ne fait que passer, on se convainc que nous vivons une crise humanitaire terrible et que c’est juste notre devoir d’humanité que de les accueillir. Toute autre attitude est indigne. Le haut-commissaire du HCR, Antonio Guterres, disait récemment que la situation entraînait chez les gens soit de la compassion, soit de la peur. C’est vrai, mais la peur disparaît au contact direct de ces demandeurs d’asile.

Et un million de réfugiés, fuyant des champs de guerres atroces et iniques (où nous avons notre part de responsabilité) qui ont déjà fait trop de morts, peuvent bien trouver une place en Europe, qui sortirait grandie si elle le voulait bien, si nous le voulions bien…
Nous rappelons-nous du J apposé sur les passeports pendant la Seconde Guerre mondiale?

* Pédiatre FMH, président de Médecins du Monde Suisse.

Opinions Chroniques Bernard Borel

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lundi 8 janvier 2018

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