Chroniques

Confusion

En coulisse

L’avènement d’internet a permis l’émergence de tous les points de vue possibles et imaginables, pour le meilleur comme pour le pire. Le meilleur: la parole n’est plus monopolisée par les éditocrates et les médias dominants. Le pire: le foisonnement infini de points de vue participe à l’embrouillage général plus qu’il ne l’éclaire. Dans les temps obscurs et confus que nous vivons, il est difficile pour le commun des mortels d’avoir une grille de lecture un tant soit peu intelligible.

En ce qui concerne le sujet le plus commenté de notre époque, à savoir le djihadisme et ses derniers développements sanglants, la parole se libère comme jamais et part dans toutes les directions probables et improbables. Les poncifs officiels sur la supériorité républicaine, les théories complotistes qui voient la main de la CIA et du Mossad derrière les attentats, les diatribes des islamophobes patentés pour qui la tuerie serait la preuve de la nature violente de l’islam, les adeptes de la géostratégie expresse pour qui ces attentats ne seraient que des réponses aux attaques de la coalition en Syrie, et j’en passe, rivalisent sur la Toile et ailleurs.

Dans ce marasme, deux tendances théoriques semblent surnager et s’affronter: la première relayée par les medias dominants pour qui les terroristes ont tué par amour de la mort et haine de la vie, raison pour laquelle il faut brandir haut et fort la défense de notre «nos valeurs républicaines», dont on ne sait pas très bien ce qu’elles recouvrent; la seconde étayée par de nombreux citoyens, intellectuels, artistes et autres, selon laquelle il conviendrait de s’intéresser de près aux conditions sociales, à la marginalisation croissante de franges entières de la population en Occident comme en Orient, à la place faite aux «métèques» dans nos sociétés – quand bien même ceux-là auraient le passeport français ou européens – pour trouver un début d’explication à ce désordre. Mais les séides de la suprématie «républicaine» (l’irrécupérable BHL, ou la rédaction complète du journal Marianne, par exemple) rétorquent aux partisans de cette deuxième tendance qu’ils sont au mieux des naïfs, au pire des salauds.

Selon cette rhétorique grossière, les défenseurs de l’analyse sociale seraient des islamo-gauchistes, frappés d’un syndrome munichois et faisant le jeu des islamo-fascistes. Pour rajouter à la confusion, notre ami Onfray, après avoir flirté avec le commentaire anti-islam le plus primaire il y a quelques mois, trouve maintenant des explications géostratégiques vaseuses en expliquant qu’il ne fallait pas «déranger les musulmans chez eux», assimilant dans un cas comme dans l’autre les djihadistes à l’ensemble des musulmans. Difficile de faire plus nébuleux.

Il n’est pourtant pas compliqué de faire le constat de l’échec du modèle économique libéral qui marginalise des pans entiers de la population mondiale; pas difficile d’y ajouter le constat que la volonté affichée de l’Occident de ne pas considérer son passé colonial, de ne pas prendre sa part de responsabilité dans les désordres du monde musulman, de ne pas vouloir réparer ni symboliquement (refus d’excuse pour la guerre d’Algérie, pour l’esclavage, etc.) ni pratiquement (pas de dédommagement matériels pour les peuples des anciennes colonies, continuation de la politique néocoloniale, etc.) ne peut que fédérer des millions d’individus contre notre modèle de société et les «valeurs» qui lui sont associées.

Ces leçons, ce ne sont pas les actes démentiels des kamikazes qui nous les ont apprises. Ne leur faisons pas cet honneur! Ne les exemptons pas non plus de leurs responsabilités. Leur degré de violence et de bêtise, leur imaginaire ultra-patriarcal et mortifère ne mérite pas le moindre atome de compréhension. Il faut toutefois essayer de saisir les raisons de l’adhésion croissante de jeunes du monde entier à cet idéal de rupture, idéal cruel et sacrificiel qui nous dépasse et nous sidère. Quelles sont les conditions qui permettent cette folie?

N’oublions pas que les mauvaises herbes poussent sur le fumier. On peut arracher les mauvaises herbes, mais tant que le fumier demeure, d’autres herbes repousseront. Cela fait longtemps que des citoyens de bonne volonté, des membres de la société civile, sonnent le tocsin contre nos gouvernements serviles, à la solde de tous les profiteurs de la Terre (sans parler des désastres écologiques, conséquents à ces politiques, au sujet desquels la mascarade est aussi de mise).

Les questions de politique sociale, de religion, de migration, de féminisme, d’écologie, de développement, tous ces grands thèmes au sujet desquels on nous ment en permanence, sont analysés avec rigueur, sérieux et humanité dans le monde par la société civile, par des groupements comme ATTAC, par des partis comme Solidarités en Suisse, le NPA en France, et divers partis dit «d’extrême-gauche». Pourtant les peuples occidentaux, à l’exception tragique de la Grèce, ne leur ont jamais donné le crédit qu’ils méritent ni l’accès aux responsabilités.

Il serait temps de commencer.

* Auteur metteur en scène, www.dominiqueziegler.com

Opinions Chroniques Dominique Ziegler

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lundi 8 janvier 2018

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