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Développement: une occasion manquée?

NATIONS UNIES • Fin septembre, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté 17 objectifs pour un développement durable, qui font suite aux précédents objectifs du Millénaire. Ce nouveau cadre constitue-t-il un véritable progrès pour la planète et l’humanité? Eclairage.

Les objectifs de développement durable (objectifs 2015-2030) ont été adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies à fin septembre. Il s’agit du nouveau cadre général de politique de développement pour les quinze prochaines années, faisant suite à quinze années où la communauté internationale s’était promise de réaliser les objectifs du Millénaire (2000-2015)1 value="1">Lire Le Courrier du 25 septembre 2015, p. 11-12. https://www.lecourrier.ch/132924/objectif_faire_progresser_l_humanite.

Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 affirme qu’une nouvelle approche est nécessaire pour relever les défis auxquels nous faisons face. L’idée est donc que les objectifs 2015-2030 constituent un changement important de politique de développement. Ainsi, ils se démarquent de leurs prédécesseurs en proposant des buts universels, ce qui n’était pas le cas des objectifs du Millénaire qui tendaient simplement à réduire, par exemple, la pauvreté de 50% par rapport à un niveau défini en l’an 2000. On veut maintenant éradiquer l’extrême pauvreté pour tous d’ici à 2030 et, de ce point de vue, il s’agit d’un progrès important.

Les objectifs 2015-2030 marquent donc le début d’une nouvelle ère. Il convient à ce stade de se demander si le passage à un cadre politique basé sur le développement durable signale réellement un tournant vers un monde plus centré sur l’environnement et la durabilité et si cette approche nous amènera à vivre dans un monde radicalement différent en 2030.

D’un point de vue qualitatif, le changement principal apporté par les objectifs 2015-2030 est le rôle central donné au développement durable. C’est sans aucun doute un pas en avant vers une acception plus large de la notion de développement, incorporant des préoccupations sociales et environnementales. En même temps, le concept de développement durable qui guide la politique générale dans presque tous les secteurs depuis le début des années nonante est tellement malléable qu’il ne constitue un point de ralliement que parce que chacun peut y mettre le contenu qu’il désire.

D’un côté, le développement durable est basé sur certains principes bien définis dans la Déclaration de Rio de 1992, comme les principes d’équité entre Etats (responsabilités communes mais différenciées) et le principe d’intégration de la protection de l’environnement au processus de développement. D’autre part, le concept a évolué au cours du temps et la Conférence de Rio de 2012 a mis en avant le concept d’économie verte qui tend à renforcer indûment l’importance donnée à la croissance au détriment de la conservation.

Il est donc impossible de savoir exactement à quoi on se réfère quand on parle de développement durable. Cependant, au vu de l’évolution récente, la mise en exergue de la croissance économique par rapport aux dimensions sociales et environnementales est un aspect qui influence les objectifs 2015-2030. Il n’est donc pas clair que le passage de «développement» à «développement durable» signale vraiment un changement de fond.

Si les objectifs 2015-2030 promeuvent une nouvelle approche, ils ne se démarquent pas vraiment des objectifs du Millénaire que les Etats s’engagent «de nouveau à réaliser pleinement». Ainsi, alors que leur succès n’est que partiel en 2015, on se contente de vouloir faire plus dans la même direction. Cela n’augure pas d’une approche radicalement nouvelle à la question de l’élimination de l’extrême pauvreté ou de la dégradation de l’environnement.

Les objectifs 2015-2030 ne souffrent pas que d’un manque de nouveauté. Plusieurs aspects doivent être notés ici: Tout d’abord, la liste des objectifs (17) et cibles (169) semble d’une part exhaustive et trop longue. En effet, on y trouve tout autant la mention de l’extrême pauvreté et de l’accès à l’eau et à l’assainissement pour tous, que la promotion du tourisme durable. Le problème est que les priorités ne sont pas nécessairement clairement établies parmi les nombreuses «cibles».

D’autre part, cette longue liste laisse de nombreuses zones d’ombre dans différents domaines. Ainsi, la section sur la technologie reste complètement silencieuse sur la question des droits de propriété intellectuelle dont la mise en application constitue toujours une contrainte importante au développement socio-économique de la majorité des pays du Sud.

Un manque encore plus important est l’absence de référence forte aux droits de l’homme dans les objectifs 2015-2030 qui ont été adoptés. Ainsi, si la Déclaration qui précède les objectifs 2015-2030 fait référence plusieurs fois aux droits de l’homme, les objectifs 2015-2030 ne le font pas et perdent ainsi une occasion d’indiquer clairement les priorités à respecter, par exemple entre les droits de l’homme et le tourisme durable.

L’absence de référence forte aux droits de l’homme se fait sentir particulièrement dans le cas de l’objectif 6 sur l’eau et l’assainissement. Ainsi, si le «droit fondamental à l’eau potable et à l’assainissement» est mentionné dans la Déclaration, l’objectif concerné est formulé au vu d’impératifs différents qui reflètent largement une logique économique qui voit l’eau premièrement comme une marchandise à vendre.

Les objectifs 2015-2030 se distinguent par leur manque de perspective nouvelle sur la question des instruments proposés pour en finir avec l’extrême pauvreté. Premièrement, les objectifs 2015-2030 se confinent dans une vision du monde qui définit la pauvreté à travers un nombre. Il est inapproprié de définir la pauvreté à l’aune d’une quantité monétaire. De plus, le montant choisi est irréaliste, ce que la Banque mondiale vient de reconnaître puisqu’elle a augmenté pour la première fois depuis 2005 de 1,25 dollar par jour à 1,90 dollar/jour le montant définissant l’extrême pauvreté.

Au-delà de la définition de la pauvreté, les objectifs 2015-2030 restent fixés sur un modèle économique néolibéral dont les effets négatifs pour la majorité des pauvres sont de plus en plus largement reconnus. Les objectifs 2015-2030 voient la croissance économique comme source de durabilité. Cette croissance économique sera basée sur des «mêmes droits aux ressources économiques» pour tous. Cette égalité est un leurre dans un contexte de fortes inégalités à l’accès aux ressources économiques. C’est ici que les objectifs 2015-2030 échouent à donner une nouvelle inflexion à la politique de développement.

D’une part, les objectifs 2015-2030 pensent résoudre les problèmes par la croissance économique mais ne posent pas de jalons pour assurer que cette croissance soit une croissance basée sur le respect de l’environnement et des droits de l’homme. Dans un contexte où la croissance devra être portée par le secteur privé puisque les Etats n’en ont plus les moyens, il est inquiétant de constater que l’objectif 12 qui vise à établir des modes de consommation et de production durables se contente d’encourager les entreprises à adopter des pratiques viables et à intégrer dans les rapports qu’elles établissent des informations sur la viabilité. Il n’y donc aucune reconnaissance des débats qui ont pourtant lieu depuis longtemps sur la nécessité de fixer des conditions fortes encadrant l’activité du secteur privé concernant leur responsabilité sociale et environnementale.

D’autre part, les objectifs 2015-2030 restent très en deçà en ce qui concerne l’équité. Alors que la Déclaration appelle à revitaliser un partenariat qui «fonctionnera dans un esprit de solidarité mondiale, en particulier avec les plus pauvres et avec les personnes vulnérables» et rappelle spécifiquement le principe 7 de la Déclaration de Rio de 1992 reconnaissant le principe de responsabilités communes mais différenciées, les objectifs 2015-2030 restent insuffisants en ce qui concerne les inégalités existantes et croissantes qui caractérisent le monde aujourd’hui. Ainsi, la seule cible qui concerne les inégalités se contente de suggérer que «les revenus des 40% les plus pauvres de la population augmentent plus rapidement que le revenu moyen national» sans même aborder la question de la richesse et des modes de consommation des super-riches.

L’adoption des objectifs 2015-2030 constitue un pas en avant étant donné qu’ils confirment l’importance que la communauté internationale donne aux questions de développement. Ils constituent également un progrès par rapport aux objectifs du Millénaire et intègrent certaines des leçons tirées de l’expérience accumulée depuis l’an 2000.

En même temps, les objectifs 2015-2030 qui viennent d’être adoptés sont insuffisants et inadéquats. En particulier, ils restent influencés principalement par un modèle de développement néolibéral qui n’a pas fait ses preuves au cours des deux dernières décennies. L’année 2015 offrait une excellente opportunité pour repenser un modèle bancal qui n’a pas su réduire les inégalités entre pays et à l’intérieur des pays. Cette occasion semble avoir été manquée.

Il nous incombe maintenant à tous de faire en sorte que l’année 2030 puisse être une occasion de se féliciter d’une amélioration marquée des indicateurs de développement humain (et non seulement économique). Cela nécessite de considérer l’adoption des objectifs 2015-2030 comme un point de départ plutôt qu’un point d’arrivée. L’étape suivante est de mettre tous les gouvernements sous pression pour faire en sorte que les mesures concrètes prises pour la mise en œuvre des objectifs 2015-2030 nous amènent vraiment à vivre dans un monde plus juste, équitable et écologiquement sain d’ici à 2030.

Notes[+]

* Professeur de droit international et de l’environnement à SOAS University of London. Contact: pcullet@soas.ac.uk

Opinions Contrechamp Philippe Cullet

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