Contrechamp

LE JARDIN IDÉAL D’ELLINIKO

GRÈCE • Urbain, autogéré et bio. Fruit d’une mobilisation citoyenne, le potager d’Elliniko, en banlieue athénienne, fonctionne sur les bases d’une économie alternative, sociale et solidaire. Une illustration de la créativité locale face à la crise, rapportée par Magali Feller, de retour d’Athènes.
Cultivé depuis quatre ans sur une friche urbaine M. FELLER

Il est quelque peu indécent, lorsqu’on n’en est pas victime, de penser qu’une crise est une opportunité. C’est toutefois ce que laissait espérer la résistance de la Grèce face à ses créanciers cet été. Le peuple grec est victime d’une Europe qui se laisse gouverner par ses banques; pourtant, ce n’est pas un peuple de victimes. Au quotidien, les Grecs ont dû être créatifs pour faire face aux grandes difficultés dans lesquelles nombre d’entre eux ont été plongés à cause des mesures d’austérité. C’est alors qu’ils venaient de dire non à une ultime proposition humiliante de l’union européenne, de la Banque mondiale et du FMI, que j’ai visité le jardin autogéré d’Elliniko pour chercher à observer et à apprendre de ces expériences de solidarité et de créativité. Membre de l’association des Jardins des Délices à Genève, j’étais particulièrement intéressée à découvrir un autre jeune jardin collectif et urbain pour échanger sur des réalités en partie partagées. Cette visite guidée par Rita Charitakis, volontaire du Jardin autogéré d’Elliniko, a élargi pour moi, l’horizon de nos jardins.
Le jardin autogéré d’Elliniko est un jardin potager qui occupe 2500 m2 des 620 hectares de l’aéroport d’Athènes-Elliniko, désaffecté depuis que les Jeux olympiques de 2004 ont amené la ville à construire le nouvel aéroport Elefthérios-Venizélos. Ce potager urbain est cultivé depuis quatre ans par une vingtaine de militant-e-s qui, après avoir prélevé quelques légumes afin de goûter à leurs récoltes, distribuent l’ensemble de leur production, à travers une épicerie sociale, à des chômeurs et des sans-abris. Le jardin collectif d’Elliniko cultive bio, ce qui n’est pas une évidence en Grèce, et utilise des graines d’espèces endémiques échangées avec des agriculteurs et habitants de la région. Jusqu’ici, ce jardin ressemble à ceux qui se développent partout dans les villes européennes. Mais il se démarque par ses ambitions, que Rita Charitakis m’expose d’emblée, entre deux bourrasques de vent en cette fin d’après-midi du mois de juillet.
Basé sur les principes d’une économie alternative, sociale et solidaire, ce jardin veut, par l’effort collectif des militant-e-s qui l’ont créé, répondre à la crise qui frappe la Grèce sous ses aspects environnementaux, économiques, éducationnels et sociaux.
Pour le jardin autogéré d’Elliniko, ainsi que pour les nombreux autres projets qui occupent le site de l’ancien aéroport d’Athènes (espace dédié au sport, oliveraie, reboisement, etc.), il s’agit en premier lieu de faire respecter la promesse faite lors de la construction du nouvel aéroport en 2001. Le site désaffecté d’Elliniko devait rester public et devenir un espace vert en compensation de la perte des terres fertiles de l’Attique sur lesquelles le nouvel aéroport a été construit. Aujourd’hui, «vendre l’espace de l’ancien aéroport d’Athènes pour des projets immobiliers de luxe sur cette partie du littoral méditerranéen permettrait de rembourser deux mois de la dette grecque», explique Rita. Telle est la pression, pour un sursis dérisoire, à laquelle les occupants de cet espace font face.
Le jardin autogéré et le comité de lutte pour le parc métropolitain à Elliniko défendent la nécessité de bénéficier d’un grand parc public dans la ville d’Europe qui a le plus petit pourcentage d’espaces verts par habitant1 value="1">A Athènes, il y a 2,5 m2 d’espace vert par habitant. L’Union européenne préconise 10 m2 par habitant, selon les chiffres diffusés par le comité de lutte pour le parc métropolitain à Elliniko.. Ce grand espace donne un peu d’air à une ville connue pour sa pollution atmosphérique et par sa densité urbaine. Ces citoyens dénoncent une politique qui a poussé les Grecs à abandonner leurs villages et à venir s’installer dans la région d’Athènes où vit actuellement un tiers de la population du pays. On comprend dès lors mieux en quoi ce parc public est une réponse à une crise environnementale: il est le symbole d’une limite posée à l’expansion de la ville et un espace pour sensibiliser les Athéniens et les Athéniennes aux questions environnementales.
Le jardin autogéré d’Elliniko répond modestement à l’aspect économique de la crise en créant une agriculture de proximité protégée de la spéculation commerciale. «Au lieu de rester passifs chez nous devant notre télévision à critiquer théoriquement ce qui se passe, le jardin met en œuvre un projet et participe à la construction d’une alternative économique globale.»2 value="2">Selon le tract de présentation du jardin dans sa version française.
Pour répondre à la crise, les militants ont aussi tenté d’inviter des chômeurs à venir travailler au jardin. Ceux-ci l’ont malheureusement vite délaissé pour des activités susceptibles de répondre davantage à leurs besoins immédiats. Un échec qui montre le caractère dramatique de la crise. En effet, le jardin nécessite un travail dont on ne récolte les fruits que plus tard, un temps que les chômeurs en situation de nécessité aigue ne peuvent pas prendre.
C’est sur l’aspect éducationnel qu’un jardin urbain peut jouer un rôle important, tout en étant de petite taille. Pour cela, le jardin autogéré d’Elliniko accueille des écoles et collabore avec des étudiant-e-s afin de promouvoir un modèle économique durable basé sur des activités productives. «Le consommateur doit apprendre à produire», souligne le document de présentation du jardin, ceci «afin de comprendre le lien entre production et consommation».
Le projet éducatif vise donc d’abord une alternative économique en permettant à des jeunes de sortir de leur position de consommateur et en les mettant en situation de reprendre la main – le pouvoir? – sur la production de ce qui les nourrit. Le projet éducatif doit aussi passer par la sensibilisation à l’agriculture, aux nécessités de la terre et aux effets des cycles naturels sur ce qui arrive dans leur assiette. A en croire Rita Charitakis, à Athènes, cette sensibilisation est d’autant plus nécessaire que les citadin-e-s ont perdu toute culture des savoirs de la terre.
Pour illustrer le niveau d’aliénation urbaine, Rita me raconte que les volontaires du jardin ont participé avec plusieurs classes des écoles de la région à la plantation de 1200 oliviers sur le site de l’ancien aéroport, il y a toujours une perte après une telle opération et 400 arbres sont morts à cause de la sécheresse ou du manque de soins, mais aussi parce qu’une partie de ces arbres n’ont pas été séparés de leur pot en plastique lorsqu’ils ont été mis en terre!
Le quatrième objectif du jardin est de répondre à l’aspect social de la crise par l’engagement même de ses membres. En travaillant pour la collectivité, ils s’opposent à une société individualiste et fragmentée. Le jardin devient un laboratoire où la camaraderie, la coopération, le travail contribuent au bien commun.
Au jardin collectif d’Elliniko, j’ai fait quelques observations à exporter aux Délices: les petites cavités creusées autour du pied de chaque légume pour en faciliter l’arrosage, les fers à bétons plantés pour éviter d’abîmer des plants avec le tuyau, le journal de bord rédigé par chaque personne travaillant au jardin, les instructions d’une jardinière professionnelle sur les travaux à faire durant le mois. J’ai aussi observé la terre rouge et fine comme en Afrique. Mais ce qui me reste surtout, c’est une conversation sur une lutte et une utopie mises en œuvre. Le jardin autogéré d’Elliniko définit clairement à quel projet de société il veut contribuer; ainsi les gestes modestes de l’arrosage, du désherbage, du repiquage, deviennent des gestes ambitieux d’une grande portée. I

GENÈVE

Les Jardins des Délices: tisser des liens dans le quartier

 

L’association des Jardins des Délices réunit les personnes qui cultivent collectivement les espaces ensoleillés d’une parcelle boisée dans le parc des Délices, à Genève. L’association a été constituée en novembre 2013. Cinq mois plus tard, les premières plantations démarraient sur ces espaces mis à disposition par la ville. Depuis un an, nous faisons partie du réseau des «Incroyables comestibles», ce qui veut dire que nous récoltons notre production et que nous encourageons aussi les passants à en faire de même.
Pour la majorité d’entre nous, une vingtaine de membres actifs, ce jardin est notre premier jardin potager, nous devons donc apprendre à jardiner et apprendre à nous organiser. Outre le plaisir de goûter à notre production, le plus grand succès de ce jardin réside dans les liens qu’il a permis de tisser dans le quartier entre les membres, avec les étudiant-e-s du Clos, avec les jeunes qui aiment s’installer sur cette parcelle, avec l’unité des Etablissements publics d’intégration de la rue Cavour et avec les passant-e-s. La visite du jardin autogéré d’Elliniko n’est pas le seul lien tissé par des membres de l’association avec d’autres jardins: nous sommes jumelés avec le jardin du parc Geisendorf, nous accueillons avec plaisir les initiatives du Forum Saint-Jean Charmilles pour réunir les jardins urbains et, cet été, Caroline Dommen, membre du comité de l’association, a pu présenter notre jardin à des visiteurs étrangers impliqués dans leurs pays dans des questions de jardinage urbain etde développement durable. MF

 

Notes[+]

*Membre des «Jardins des Délices» à Genève.
Blog du jardin d’Elliniko: http://agroselliniko.blogspot.ch/

Opinions Contrechamp Magali Feller

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