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Pourquoi nos prisons débordent… d’étrangers

SOCIÉTÉ • A infraction équivalente, un étranger va davantage, et plus longtemps, en prison qu’un Suisse. «La criminalisation de la migration est un facteur clef de l’occupation des prisons», relève Pierre Bayenet. Explications.

Le migrant se trouve, à comportement égal, beaucoup plus en prison que le Suisse. A chaque étape du processus de détention, les critères de la nationalité et du domicile vont favoriser le maintien en détention.

La criminalisation de la migration. Le bilan statistique des prisons genevoises nous apprend qu’en 2014, pour la première fois, la loi fédérale sur les étrangers est devenu le premier motif d’incarcération à Champ-Dollon, dépassant les infractions contre le patrimoine. Ledit bilan soutient que depuis 2012 les infractions à la loi sur les étrangers sont en augmentation.. Or, en réalité, on sait que ce n’est pas le nombre d’infractions, mais la répression qui a augmenté, avec l’arrestation massive d’étrangers qui a conduit à un engorgement de la prison de Champ-Dollon.

La détention préventive. Le Pr Christian-Nils Robert le dénonce depuis longtemps: à soupçon équivalent, un étranger (a fortiori sans autorisation de séjour) sera détenu, alors qu’un Suisse attendra en liberté le jour de son jugement. En effet, le risque de fuite est plus élevé pour un étranger que pour un Suisse. On pourrait objecter que l’étranger qui s’enfuit, tout comme le Suisse, pourra être retrouvé et extradé, ou jugé dans son pays. Mais la Suisse préfère garder le prévenu étranger dans ses geôles. Qu’importe au final, pourrait-on penser, puisque la détention préventive sera déduite de la sanction infligée? Non, ce n’est pas si simple. D’abord, dans de nombreux cas, la sanction sera assortie du sursis (et seule la détention préventive aura été subie). Ensuite, dans d’autres cas, la peine finalement infligée ne sera pas une peine de prison (et seule la détention préventive aura été subie en prison). Enfin, parfois, l’innocence du prévenu est constatée. Dans ces trois situations, la discrimination est lourde de conséquences.

Le choix de la peine. Notre nouveau droit des sanctions, progressiste à bien des égards, prévoit que le juge puisse choisir entre trois types de sanctions. Sanction pécuniaire (jours-amendes – qui se transformeront en détention ferme s’ils ne sont pas payés), travail d’intérêt général, ou peine privative de liberté. Cette dernière peut, dans certaines conditions, s’exécuter à domicile. Hélas, le Tribunal fédéral a décidé que le travail d’intérêt général visait l’insertion du condamné, but impossible pour un étranger sans autorisation de séjour. Pas de travail d’intérêt général pour les sans-papiers, donc. Quant à la détention à domicile, elle exige un logement en Suisse, une ligne de téléphonie fixe, un travail légal et une participation importante aux frais; tout cela est inaccessible aux étrangers sans séjour officiel en Suisse. Dès lors, là ou un Suisse pourra subir sa peine à domicile ou sous la forme de travail, un étranger ira en prison, ou payera des jours-amendes s’il en a les moyens.

Le travail externe. C’est un autre domaine de discrimination. A partir de la mi-peine, le détenu qui n’est pas dangereux a le droit d’exécuter sa peine sous la forme de travail externe: il travaille la journée à l’extérieur, et revient passer ses nuits et son temps libre à la prison. C’est un allègement important de l’exécution et une préparation nécessaire à la sortie. Or, alors que les Suisses bénéficient systématiquement de cet allègement, rares sont les étrangers à en profiter. Certains cantons, en particulier alémaniques, refusent le travail externe aux étrangers sans permis de travail; la pratique genevoise leur limite le travail externe à douze mois. Dans les faits, la plupart des étrangers condamnés à des courtes peines privatives de liberté n’en bénéficient pas du tout.

La libération conditionnelle. En principe, la libération conditionnelle est accordée aux deux tiers de la peine lorsqu’il n’existe pas de risque de récidive, mais elle est régulièrement refusée aux étrangers sans permis de séjour. Motif? S’ils étaient relâchés ils se trouveraient en état d’infraction du simple fait de leur séjour illégal en Suisse. Autant les garder, donc. L’octroi de la libération conditionnelle est souvent conditionné à la collaboration de l’étranger à la préparation de son renvoi. Résultat, là ou un Suisse sortira aux deux-tiers de sa peine, un étranger sans permis subira sa peine jusqu’à son terme s’il ne collabore pas activement à la préparation de son départ, ou s’il a refusé de quitter la Suisse par le passé.

Discrimination à tous les étages. Résultat 2014, pour la Suisse latine, c’est 82% des détenus pénaux qui étaient des étrangers, avec une pointe de 91% à Genève. Par souci d’objectivité, je dois rappeler qu’il existe deux facteurs objectifs qui expliquent une surreprésentation étrangère dans nos prisons. Près de trois quarts de toutes les infractions pénales sont commises par des hommes âgés de 20 à 35 ans; or la population étrangère étant en moyenne plus masculine et plus jeune que la population suisse, elle est statistiquement plus encline au crime (en Suisse, 24% de la population est étrangère, mais le taux monte à 34% de la tranche d’âge 20-39 ans; 48% des Suisses sont des hommes, pour 53% des étrangers). Mais ceci ne remet nullement en question ce que j’ai exposé ci-dessus: à infraction équivalente, l’étranger ira plus en prison que le Suisse, et y restera plus longtemps.
 

Opinions Agora Pierre Bayenet

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