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Les femmes aux fourneaux, Charles Martel à Lampedusa

RÉACTION • Le 5 septembre dernier, l’avocat genevois Marc Bonnant était invité par l’UDC de Conthey à donner une conférence sur le thème «le bonheur d’être de droite». Deux universitaires se livrent à une analyse du discours.

Le 5 septembre dernier à Conthey (VS) s’est tenue la fête annuelle de l’UDC Valais romand, Marc Bonnant en tête d’affiche. En pleine période électorale, le ténor genevois était invité par Oskar Freysinger. L’avocat a été présenté par l’élu comme un ami intime et un modèle, poésie à l’appui. Dans un cadre plus qu’élogieux, l’avocat s’est donc exprimé sur le thème «Du bonheur d’être de droite»1 value="1">www.youtube.com/watch?v=jl0dpgq1XnQ. L’objectif était surtout de définir la droite, seule idéologie respectable en politique selon lui.

Premier élément: l’homme de droite est, avant tout, un homme. Autrement dit, il n’est pas une femme. L’avocat fait ainsi écho aux propos de Freysinger tenus la veille à la radio. Le politicien avait dit regretter «la disparition de la testostérone» en politique, dont la gauche – cette «mère castratrice» – serait responsable. Tout au long de son discours, Marc Bonnant reprendra à son compte ce rejet du féminin, expliquant à quel point les caractéristiques intrinsèques des femmes sont incompatibles avec la politique, «art de la guerre [et] de l’affrontement». Leurs «pratiques de bonobos» réglant «les conflits par l’étreinte et le câlin», n’auraient donc rien à faire dans cette arène. Les femmes devraient d’ailleurs retourner à leurs «fonctions sacrales»: piano et fourneaux, au lieu d’être «magistrateuses» ou «médecinesses». Il finira par avouer «la haine totale, absolue» qu’il porte aux féministes, «ces transsexuelles psychiques».

Pour l’avocat, l’homme de droite se doit d’être «un résistant» face à toute volonté d’égalité, «utopie des indignes», aspiration «perverse» qui nie la réalité. Pour y résister il faut s’attaquer au langage, élément constitutif des rapports sociaux. Car l’homme de droite nomme les choses «telles qu’elles sont». Il utilise les mots en acceptant qu’ils aient une histoire. Histoire sélective et qui s’arrête cependant bien tôt chez Marc Bonnant… Ainsi, pour exemple, un homosexuel devrait être appelé «pédé», parce que c’est ce qu’il est. Il nie ainsi les luttes historiques autour de ce mot et se permet même de l’associer à la pédophilie. Porté par sa légendaire «liberté d’expression», il fustige la gauche et ses mots motivés par la «justice» plutôt que par la «justesse». La société aurait besoin des inégalités, des différences et surtout de la hiérarchie, «principes moteurs» des individus et des civilisations.

L’orateur continuera son essai de définition en expliquant qu’être de droite c’est aussi avoir «le goût de la transcendance». Athée et blasphémateur revendiqué, ce soir-là, Marc Bonnant flatte les catholiques intégristes présent-e-s dans la salle. Aux idées pacifistes de l’Eglise, l’orateur préfère le temps «où l’on persécutait l’Infidèle» au lieu de l’accueillir. Dans une période qu’il perçoit comme celle de la mort de l’Occident, l’islamophobie ne serait «pas seulement un droit mais un devoir». L’Islam, religion «conquérante» et «hégémonique», nous envahirait par «vagues successives», prenant le visage du «combattant» ou du «miséreux». Face à cette offensive, le vrai catholique doit se protéger par les armes. «C’est Charles Martel qu’il faut envoyer à Lampedusa!». A entendre l’auditoire en liesse, l’on se figure à quel point certain-e-s voient en l’actualité migratoire un véritable affrontement civilisationnel.

Au-delà de ses propos, la posture oratoire du genevois fait réfléchir. Jouant à l’intellectuel, il rappelle obsessionnellement son goût de la verticalité en se référant à la philosophie antique. Le public, comme tout autre, n’y saisit sûrement pas grand-chose et se voit pris entre la flatterie et le mépris par des propositions du type «comme vous le savez». L’effet est double: fédérer des personnes qui ont les mêmes valeurs, tout en précisant la figure de l’élite. En fin de discours, Marc Bonnant fera référence au slogan électoral de l’UDC: «Rester libre!» Il invitera son auditoire à considérer «la liberté non pas comme une facilité, mais comme une obligation ardente d’y renoncer pour grandir». S’il encourage par là les gens du public à faire des choix, il leur rappelle aussi qu’étant de droite, ils doivent s’inscrire dans un ordre social hiérarchique.

Ce soir-là, par un mélange de références classiques, de mépris des faibles et d’humour douteux, Marc Bonnant a posé les bases de ce que doit être à ses yeux la droite de demain: violente, patriarcale et tournée vers un leader éclairé. Des éléments qui ne vont pas sans rappeler l’idéologie fasciste. Ainsi, il a consenti à servir de faire-valoir intellectuel à Oskar Freysinger, qui se voit par là placé sur le piédestal d’une extrême-droite réaffirmée.
* Chercheuse en sciences sociales.
** Docteure en droit.

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