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Crash Germanwings: de l’urgence de ne rien faire!

SANTÉ MENTALE • Revenant sur le cas du pilote responsable du crash de l’Airbus A320, Julien Dubouchet Corthay estime que l’obligation de signalement médical de «risques», loin d’être pertinente, est contreproductive tant pour l’intérêt des patients que de la société.

Si le transport aérien continue d’être le mode de transport, avec le train, le plus sûr, le récent drame n’en a pas moins déclenché une avalanche de réactions et de propositions. Qu’en est-il de leur pertinence?

L’idée qu’il faudrait, d’une manière ou d’une autre, renforcer le contrôle de l’état psychique de certains employés dans des fonctions dites «à risque» accrédite déjà implicitement une vision aussi répandue que fausse de la maladie mentale, à savoir que les personnes affligées de troubles psychiques seraient plus dangereuses que le reste de la population. Dans un ouvrage de référence (Shunned. Discrimination against people with mental illness, Oxford University Press, 2006), Graham Thornicroft se livre à une revue exhaustive de la littérature scientifique sur la question et aboutit à une conclusion sans appel: si la maladie mentale est dangereuse pour quelqu’un, c’est bien, d’abord, pour ceux qui sont touchés par elle, étant plus souvent que les autres victimes de violences, attentant plus souvent à leurs jours et ayant globalement une espérance de vie moindre. Quant à l’hétéroagressivité, elle n’est significativement plus élevée chez les «malades» que pour ceux qui relèvent d’un diagnostic de «trouble de la personnalité» (qui ne comprend pas la dépression, ni la schizophrénie, d’ailleurs) mais qui pose le problème logique de se définir, précisément, par l’agressivité et la difficulté de se conformer aux règles sociales et légales. Où l’on retrouve donc le paradoxe classique de la folie criminelle: est-on criminel parce que fou ou fou parce que criminel?

Mais passons outre l’aporie et demandons-nous ce qui aurait pu être fait dans le cas d’Andreas Lubitz pour l’empêcher d’emporter 149 de nos frères et sœurs humains dans la mort? Et là encore, à entendre les réactions qui vont toutes, peu ou prou, dans le sens d’une meilleure «détection précoce» et l’obligation faite aux médecins de signaler, qui à l’employeur, qui aux autorités, la présence d’un «risque», on passe à nouveau complétement à côté de l’enjeu, faute d’une compréhension adéquate de la maladie mentale. Car si la contribution de facteurs biologiques, voire génétiques, dans l’incidence de troubles mentaux n’est plus à démontrer, la compréhension de leur déclenchement ne peut en aucun cas faire l’impasse sur les facteurs environnementaux et sociaux. Et c’est bien là que le bât blesse, s’agissant de «pathologies de la relation», les moyens que nous nous donnons de les traiter influent grandement sur l’existence même des troubles, et pas seulement de leur «résolution», dont on sait aujourd’hui qu’elle se réalise pour une part importante hors de toute prise en charge thérapeutique – on estime les cas de «rémissions spontanées» à plusieurs dizaines de pourcents. Il y a donc lieu, selon la logique des «faux positifs», de veiller à ne pas infliger de «traitements» qui font plus de mal que de bien et, en ce sens, toute action de prévention n’est pas bonne à prendre. Et en matière de santé mentale, il y a fort à parier que les effets de stigmatisation et de discrimination que ne manqueront pas de générer des mesures de «détection précoce» dépasseront de loin, socialement, les avantages escomptés, mais nullement garantis, en termes de «sécurité».

Pour reprendre le cas concret d’Andreas Lubitz, dont il paraît avéré que son rêve le plus cher était de devenir pilote, aurait-il tenté de se soigner s’il avait su que son médecin était tenu de signaler sa condition à son employeur? Et à supposer que, par ignorance, par exemple, il l’ait fait quand même, et que son rêve s’en fût trouvé brisé, n’aurait-il pas, peut-être, cherché à se venger? Nul ne peut évidemment le dire, comme personne ne peut l’exclure. Mais ce qui est sûr en la matière, c’est que, dans l’intérêt des patients, comme celui de la société – car les deux se confondent au final grandement – les personnes atteintes dans leur santé mentale puissent accéder le plus librement et largement aux ressources qui leur permettront de se rétablir. Et ces dernières ne sont pas que médicales; l’accès à l’intégration sociale et professionnelle, que d’aucuns semblent vouloir leur refuser, est des plus importants.

A rechercher le risque zéro, outre que l’on tend inexorablement vers une société totalitaire, bien plus dangereuse que tous les risques dont elle est censée nous prémunir, on génère bien souvent plus de danger que l’on en élimine.
 

* Secrétaire général de Pro Menta Sana.

Opinions Agora Julien Dubouchet Corthay

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