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Qu’est-ce que l’ambiguïté?

COLLOQUE • Du 19 au 21 mars, un colloque international est organisé à l’Université de Genève autour des travaux de José Bleger, médecin, psychiatre et psychanalyste argentin, sur l’«ambiguïté» dans le cadre psychique et social.

Avez-vous l’impression de subir une réalité économique, politique, culturelle dont vous êtes pourtant critique? Qu’il n’y a pas d’alternative à une résignation amère, teintée de culpabilité parce que vous vous retrouvez à être complice d’un système, d’une logique, d’une institution ou d’un patron qui vous mettent en désaccord avec vous-mêmes ou vous poussent vers un «pragmatisme» cynique? Avez-vous envie de vous boucher les oreilles quand vous entendez des commentaires comme ceux du ministre de Finances allemand, Wolfgang Schäuble, sur le nécessaire «retour à l’austérité en Grèce» – «Être dans le gouvernement est un rendez-vous avec la réalité, et la réalité est souvent moins jolie que les rêves»1 value="1">The Guardian, www.theguardian.com/business/2015/feb/20/greece-deal-first-step-on-the-road-back-to-austerity? Vous sentez-vous souvent mal à l’aise dans votre travail, vos études, alors que vous vous investissez beaucoup? Avez-vous l’impression de passer à côté de votre vie privée parce qu’il faut s’adapter sans cesse? Alors le colloque international des 19, 20, 21 mai 2015, coorganisé par l’Université de Genève, le Collège international de philosophie à Paris et la HES-SO de Genève, vous intéressera2 value="2">Titre exact du colloque: «Ambiguïté, subjectivation et création sociale. Analyse d’une théorie minoritaire latino-américaine». Programme détaillé, matériaux sur le site: exil-ciph.com.

Le colloque s’inscrit dans trois expériences de formation et recherche internationales et suisses. Il fait partie des activités du Collège international de philosophie (CIPh) depuis 2010 en Suisse, au Chili, à Istanbul, sur l’exil et le desexil en lien avec la philosophie, la politique, la citoyenneté3 value="3">Voir le site exil-ciph.com. Il fait également partie de la recherche en littérature comparée de Valeria Wagner (UniGe) sur les processus de conversion de valeurs liés à la créativité4 value="4">Voir le site www.unige.ch/lettres/roman/espagnol/enseignants/Wagner.html. Les questions soulevées par l’ambiguïté intéressent l’évaluation des pratiques professionnelles dans la formation continue des travailleurs sociaux de la HETS-HES-SO5 value="5">Voir les programmes de la HETS-HES-SO, www.hes-so.ch/fr/mas-direction-strategie-institutions-educatives-561.html?theme=T13. Elles intéressent aussi la formation des psychologues, psychanalystes, travailleurs de la santé qui, dans leur travail clinique, cherchent à articuler le monde psychique, le social, les institutions. Au niveau méthodologique, la dialectique de Bleger est un apport pour la connaissance critique. Elle est utile pour saisir les rapports exil/desexil (Caloz-Tschopp, 2014) et conversion/création (Wagner).

Le point d’ancrage de la réflexion sur l’ambiguïté est l’œuvre du médecin, psychiatre, psychanalyste argentin José Bleger (1922-1972), qui a exploré l’articulation entre le psychisme des individus, les groupes, les institutions, et les logiques de pouvoir, de liberté. L’ambiguïté a une longue et riche tradition dans toutes les cultures et domaines du savoir. Le psychanalyste l’a repérée dans le fonctionnement psychique et social. Qu’est-ce donc que l’ambiguïté quand elle est étudiée cliniquement depuis la psychanalyse? L’ambiguïté n’est pas l’ambivalence. Qu’est-ce qu’elle nous apprend sur nous-mêmes, les groupes, les institutions auxquelles nous appartenons?

En nous intéressant à cette théorique minoritaire6 value="6">Ce choix sera expliqué lors du colloque. d’un autre continent, notre objectif est double. Tout d’abord, une curiosité vis-à-vis d’une notion intéressante mais difficile à saisir. Ensuite mieux comprendre les contraintes au sein desquelles évolue notre subjectivation, et comment, à travers elle, se tisse le lien entre l’organisation de notre société et notre psychisme.

José Bleger a exploré, décrit l’ambiguïté à partir de sa pratique clinique en Argentine dans un moment de profonde transformation de son pays et du continent latino-américain. En bref, pour lui, l’ambiguïté est un type d’organisation du «moi» marqué par la coexistence d’éléments contradictoires non discriminés, qui ne rentrent pas en conflit entre eux. Cette organisation psychique de base donne aux personnes une grande adaptabilité, qui peut générer un conformisme extrême, permettant l’adaptation à des situations intenables. Dans ce sens, l’ambigüité éclaire l’interaction problématique entre le substrat symbiotique des groupes, des individus et leur comportement conscient, différencié.

Le colloque se propose d’étudier l’ambiguïté dans le cadre psychanalytique et clinique. Mais il considère aussi ses manifestations quotidiennes, les situations auxquelles elle répond. Nous allons voir comment elle se traduit dans un mode de vie contrainte par l’adaptabilité, voire la soumission, ou au contraire comment elle peut se travailler dans des situations de vie, d’action, des expériences, et se transformer en autonomie et création sociale.

L’ambiguïté dans le lien entre le monde interne psychique et le social sera explorée depuis des démarches, expériences diverses durant les trois jours.

* Co-organisatrices du colloque. Marie-Claire Caloz-Tschopp est philosophe (Collège International de Philosophie Paris-Genève) et Valeria Wagner maître d’enseignement et de recherche (Faculté des Lettres Université de Genève).

L’ambiguïté dans tous ses états
Que revêt, au juste, l’idée d’ambiguïté? Si le concept est au cœur du colloque, la journée du 21 mars en explore les multiples déclinaisons. La matinée sera consacrée à la dimension créative et productive de l’ambiguïté, depuis les perspectives d’études littéraires et audiovisuelles comparatistes. Il s’agira de voir comment l’ambiguïté fonctionne dans des récits, films, ou romans, et comment elle a été pensée dans les domaines les domaines littéraires et artistiques.
Ou l’on verra que l’ambiguïté apparaît comme une ressource discursive fondamentalement créatrice, et peut aussi fonctionner comme un dispositif catalyseur du jugement, du sens critique et de la créativité des lecteurs. Les personnages et situations ambigües, par exemple, fonctionnent comme des principes de déconstruction de la réalité médiatisée; lorsque les lecteurs ou l’audience élaborent et tranchent les doubles sens ou sens multiples d’un texte, ils font un travail d’actualisation historique, de mise en lien avec leurs propres contextes.

L’ambiguïté fonctionne ainsi comme une zone de contact où les lecteurs effectuent les conversions, adaptations nécessaires pour inscrire leurs lectures. Cette interaction avec le texte réoriente, convertit la subjectivité des lecteurs.

La session proposera également des réflexions sur les discussions de l’ambiguïté chez les classiques (Georges Varsos, Université d’Athènes), sur la structure et fonction particulière de l’ambiguïté audiovisuelle (Talens et Díaz), sur ses usages et son fonctionnement dans les contextes et les méthodes comparatistes (Heidman), et sur son rôle dans les processus de conversions culturelle, économique et subjective (Wagner).

José Bleger, auquel l’après-midi du 21 mars est consacrée, sera considéré depuis des recherches et des pratiques développées en philosophie, en histoire, en droit en collaboration avec le Programme du Collège international de philosophie (CIPh 2010-2016). Ce programme sur l’exil, et le «desexil», observable sur le terrain de la migration et aussi de la vie quotidienne en profonde transformation dans la globalisation (Caloz-Tschopp 2014), s’intéresse à la haine, à la solidarité, à l’indifférence, à la banalisation de la violence (Arendt, 1972), au conformisme, de l’obéissance/désobéissance (Gori) et aussi à la résistance, à la création politique, aux nouvelles formes de citoyenneté et de civilité (Balibar 2010) des mouvements sociaux dans un contexte de «violence extrême» (Possenti, Vérone) «d’homme jetable» (Ogilvie 2012), de transformation du cadre politique en ce qui concerne la constitution, les droits, l’Etat (Tafelmacher).

Les notions de violence ultra-objective et ultra-subjective de Balibar méritent d’être enrichies par les travaux de José Bleger. Par ailleurs, la notion d’ambiguïté implique les théories et aussi la pratique des philosophes (Caloz-Tschopp), le travail d’historiens, l’un en histoire de la médecine (Pache) et l’autre dans le domaine des rapports nord-sud et de la colonisation (Brepohl). Le colloque se terminera par un exposé de Leopoldo Bleger, qui apportera une vision personnelle du travail de son père et par un exposé sur José Bleger et le travail clinique du psychanalyste Nicolas de Coulon, membre de la Société suisse de psychanalyse, ancien directeur médical de la Fondation de Nant (canton de Vaud).

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AU PROGRAMME
Ateliers, conférences, débats et soirée publique

International, interdisciplinaire, inter-expériences, intergénérationnel et public, le colloque s’adresse à un public diversifié: chercheurs, étudiant-e-s, autodidactes; professionnel-le-s, artistes, militant-e-s de Suisse et d’ailleurs.

Le programme en bref:

> Jeudi 19 mars: La réflexion débutera l’après-midi par trois ateliers: 1) social, droit, service public, éducation; 2) gestion de l’urgence et de la vulnérabilité; 3) santé psychique et physique. Le concept d’ambigüité sera abordé depuis des expériences de professionnel-le-s (santé, social, journalisme, recherche, éducation, science, etc.), dans des institutions où se déroule leur travail. Celui-ci est mis à rude épreuve aujourd’hui, avec les contraintes et les impasses où on peut se trouver coincé. L’ambiguïté peut aider à comprendre certaines situations.

 > Vendredi 20 mars:  La journée est consacrée à la présentation de José Bleger dans le contexte historique argentin, aux trois concepts-clés de sa théorie psychanalytique – le cadre, la symbiose et l’ambiguïté – ainsi qu’à son travail clinique. Des spécialistes internationaux (Ariel Libermann, Madrid, John Churcher, Londres, Silvia-Amati-Sas, Trieste, Claire Pagès, Paris, Talat Parman, Istanbul) situeront l’originalité des travaux de José Bleger, ce qu’a signifié concrètement, dans son travail théorique, sa position, ses enseignements, sa clinique et son souci de concilier la théorie psychanalytique avec une pensée de l’autonomie, de l’émancipation sociale. Des cliniciens et des chercheurs en sciences sociales complèteront le tableau (Marc Geyer, psychologue, Gilles Godinat, médecin-psychiatre, Véréna Keller, sociologue).

Une soirée publique aura lieu à la HETS. Présidée par le psychanalyste Nicolas de Coulon, elle débutera par une conférence du Pr Roland Gori intitulée «Norme, soumission sociale et violence des institutions». La Pr Sylvie Avet-Loiseau, responsable de la formation continue HETS/HES-SO parlera de l’ambiguïté dans le travail social. Le Pr Claude Calame interviendra sur l’ambiguïté dans les politiques migratoires, à partir de la question: «La Suisse un laboratoire pour l’Europe?»

> Samedi 21 mars: Tout au long de la journée, le concept d’ambigüité sera traité sous des perspectives et angles divers (lire ci-contre «L’ambiguïté dans tous ses états»). Le colloque se terminera par un buffet-repas ouvert à tous sur
inscription.

Programme complet et inscriptions:
www.exil-ciph.com/pages/programmes/programme2015.html

Il est encore possible de s’inscrire en précisant des informations d’organisation (cafés, repas) à renvoyer à l’adresse: bleger.colloque@gmail.com
L’entrée est gratuite (sauf soirée publique: 10 CHF) et un certificat de formation sera fourni aux participant-e-s sur demande.

Séminaire
Par ailleurs, en lien avec le colloque, un séminaire transdisciplinaire intitulé «Pouvoir, desexil, convertibilité» a cours jusqu’au mois de mai à Uni-Bastions et au Théâtre du Loup. Il est ouvert au public et gratuit. Les séances passées ont été enregistrées par la plateforme Savoir Libre. Les prochaines ont lieu les 26 mars, 16, 23 et 30 avril, 7 et 14 mai.

Programme détaillé, inscription, enregistrements et matériaux: exil-ciph.com

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