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Un mensonge de saison

ALIMENTATION • Qu’est-ce qu’un légume ou un fruit dit «de saison»? Pas nécessairement un produit cultivé en pleine terre, d’après les dispositions légales. Un flou sur lequel surfent l’agroindustrie et les chaînes de grande distribution.

Dans ses publicités souvent insidieuses, l’industrie alimentaire distille parfois des drôles de vérités. Penchons-nous un instant sur une tromperie fort répandue: l’utilisation abusive du terme «de saison»…

L’été genevois durerait-il neuf mois pas année? C’est ce qu’on pourrait croire en regardant le nombre de produits maraîchers plus ou moins «régionaux» que l’on trouve les trois quarts de l’année sur les étals des supermarchés. A voir les slogans publicitaires qui nous envahissent, ces derniers adorent les agriculteurs de la région (laquelle?), mais ces pubs ne disent pas tout. Pour les producteurs industriels, un fruit ou un légume est «de saison» quand ils peuvent le livrer aux supermarchés, ce qui permet à ces derniers d’afficher, par exemple, des «tomates de saison» en avril! Des tomates évidemment cultivées dans des serres en verre chauffées et hors-sol, ce qui n’a rien à voir avec une agriculture naturelle qui respecte le rythme des saisons.

Ils sont confortés par l’Ofag (Office fédéral de l’agriculture), qui affirme que «les produits sont de saison quand ils arrivent ‘tout frais récoltés’ sur le marché».

Questionné à ce propos, le chimiste cantonal n’y trouve rien à redire. Il n’entend pas aller contre les lois du marché, aussi peu naturelles soient-elles: «Le terme est subjectif, aucune définition légale ne le précise», se borne-t-il à dire.

Pourtant, de nombreux spécialistes de l’alimentation interrogés pensent le contraire.

Des saisons naturelles. Auteur de divers ouvrages sur l’alimentation, René Longet estime que «seuls des produits cultivés en pleine terre de manière naturelle peuvent être considérés de saison». La plupart des spécialistes abondent dans le même sens: «Les produits de saison sont évidemment ceux qui poussent selon les saisons; il ne peut s’agir de produits cultivés sous serre chauffée», affirme Astrid Matute, diététicienne. Qui en profite pour ajouter: «Les produits réellement de saison sont certainement plus riches en vitamines, minéraux et autres substances nutritives. Et ils ont meilleur goût!».

Autre avantage fréquemment souligné, une alimentation qui respecte les saisons lui permet d’être variée. «L’organisme humain est sensible au rythme des saisons; il est donc mieux nourri avec des produits qui poussent en accord avec la nature», explique notamment le nutritionniste Patrick Leconte.

Des tableaux hors-saison. Une saine alimentation passe donc certainement par la consommation de produits réellement de saison. Mais comme l’expression n’est pas protégée, le consommateur averti ne peut pas se fier au terme «de saison», qui peut être affiché dans nos supermarchés à n’importe quel moment de l’année. Et même les produits labellisés bio ne respectent pas forcément le rythme des saisons. Migros, par exemple, qui entend «respecter strictement les directives imposées aux articles bio», déclare notamment «se baser sur divers principes», dont «une production en harmonie avec les cycles de la nature». Mais cela ne l’empêche pas de vendre des tomates dès le mois d’avril! Le tableau des saisons affiché par les grandes chaînes de l’alimentation comme par les industriels de l’agriculture trahit d’ailleurs un usage qui ne respecte guère le rythme naturel des saisons.

Du bon sens. Pour être sûr qu’un produit déclaré de saison l’est réellement, on ne peut donc pas se fier à la législation, ni à un label bio et encore moins aux usages des supermarchés ou aux tableaux de saison édités par les industriels de l’agriculture. Seule une bonne information et une dose de bon sens permettent de comprendre ce qu’il en est vraiment.

Du bon sens, c’est ce que les producteurs ACP (une quinzaine à Genève, autant dans le canton de Vaud) ou l’Affaire Tournerêve (association qui distribue chaque automne à Genève quelque 1500 paniers de produits de garde) revendiquent. Ils veulent respecter le sens des mots et ne pas entourlouper les gens avec des formules trompeuses. Ils ne cultivent pas les patates sur un écran publicitaire, mais en pleine terre, dans le respect de la nature et de ses rythmes. Soutenir de telles démarches, c’est aussi soutenir cette approche naturelle de l’agriculture, faire un pied de nez aux géants de la distribution comme aux industriels de l’agriculture. Et lutter contre les publicités fallacieuses d’économistes qui, sous bien des aspects, ont perdu la tête.
 

Opinions Agora Alain Dupraz

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