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Se rappeler l’origine de la crise ukrainienne

RÉACTION • L’intervention russe dans l’est ukrainien est sans lien direct avec l’EuroMaidan, selon Florian Irminger, qui réagit à la dernière chronique de Guy Mettan.

Il y a dix mois commençait en Ukraine ce que les protestataires espéraient n’être qu’une manifestation visant à assurer que le président Viktor Ianoukovitch maintienne sa promesse de ratification de l’accord d’association avec l’Union européenne. On connaît la suite: des interventions policières visant à faire taire l’opposition et les manifestants en incluant des snipers, puis l’annexion de la Crimée par la Russie, suivie de la résistance militaire de forces séparatistes dans l’est du pays, rebaptisé par le président Vladimir Poutine «nouvelle Russie» – l’invasion par les mots.

Comme le rappelait mardi au Conseil des droits de l’homme le Secrétaire général adjoint Ivan Šimonovic, l’origine de la crise fut la prise de la rue, l’occupation du Maïdan (la place de l’Indépendance à Kiev), par une génération qui voit son avenir proche de l’Europe et non lié à la Russie.

Rappeler l’origine de cette crise, c’est d’abord rappeler qu’il est faux d’affirmer qu’on a vécu un «putsch»1 value="1">Guy Mettan, «Tout est devenu propagande», Le Courrier du 10 septembre 2014.. L’EuroMaidan n’appartient pas à l’opposition politique, contrairement à la révolution orange, mais fut une réaction imprévue d’une génération déçue. Depuis 2005, l’Ukraine a en effet élu à plusieurs reprises des dirigeantes et dirigeants, y compris Viktor Ianoukovitch et sa majorité, qui faisaient la promesse d’un rapprochement avec l’Union européenne. La déception face au revirement du président provoqua la colère vue à l’EuroMaidan. Comprendre l’Ukraine d’aujourd’hui, c’est aussi comprendre l’aspiration de sa population, exprimée dans les urnes et sur le Maïdan.

Il faut aussi se rappeler de la responsabilité du président Ianoukovitch de ses soutiens dans la disparition et la mort de centaines de manifestantes et manifestants ainsi que l’utilisation systématique de torture contre celles et ceux arrêtés. Car là est l’élément déclencheur des demandes de démission, loin des «antennes européennes de think tanks américains financés par les néoconservateurs»2 value="2">Ibidem.! Une affirmation facile dans un journal de gauche à Genève par un commentateur conservateur, sur le terrain difficile à prouver pourtant. La réaction de la population a été massive: à Kiev, des centaines de milliers de personnes ont tenté de rejoindre le Maïdan, un système de solidarité s’organisa.

Se rappeler l’origine de cette crise n’est pas inutile pour dire que l’EuroMaidan déstabilisa en effet le pouvoir au palais présidentiel Mariyinsky, transformé en château, où l’on trouva entre autres bateau, baignoires en or massif et même un tord-boyaux à l’effigie de l’homme qui l’habita. Le peuple n’obéissait plus – l’Ukraine n’est pas le Belarus. Quel meilleur moment alors pour la Russie pour jouer son va-tout: accaparer la Crimée au prétexte de la protection de la population sur place contre des «fascistes»? L’intervention russe, invasion bien réelle, transforma ce qui était jusque-là un spectacle désolant d’un dirigeant autoritaire usé surpris par la puissance du peuple. Elle n’a pas de lien direct avec l’EuroMaidan, si ce n’est qu’au moment où l’Ukraine était fragilisée, son grand voisin décida de reprendre la main.

Nous étions en Ukraine le 14 août 2014 pour dénoncer l’adoption par le parlement, puis la signature par le président, Petro Porochenko, de lois antiterroristes inacceptables. Les autorités européennes et étasuniennes laissent faire. Face à l’impunité dans le pays, notamment celle sponsorisée par la Russie pour les troupes qu’elle arme, soutient et défend dans l’est – tentative d’invasion de facto – nous avons demandé une investigation par la Cour pénale internationale. L’accord prévoyant l’amnistie pour celles et ceux qui tiennent des armes à l’est du pays constitue également un problème de ce point de vue.

Si l’origine de la situation est une crise des droits de l’homme, aujourd’hui, ceux-ci sont tristement abandonnés sous la pression du voisin russe. Ce qui reste de l’EuroMaidan, c’est des photographies de celles et ceux décédés. L’aide humanitaire, elle, ne vient pas d’abord de camions blancs venus du Kremlin – et essentiellement vides – mais bien de la mobilisation solidaire d’une population dont le symbole est le petit studio, non loin du Maïdan, où s’activent 40 à 60 personnes pour trouver des couvertures et de la nourriture, idéalement des familles d’accueil, aux Ukrainiennes et Ukrainiens qui fuient l’est du pays et la Crimée, russophones ou non, Tatars ou juifs ou simplement personnes prises de peur. C’est les milliers de personnes déplacées internes que connaît maintenant l’Ukraine.

Face à cette nouvelle crise, les droits de l’homme sont au centre de la réponse.
* Membre de la direction, responsable du Bureau de Genève de la Human Rights House Foundation.

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