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Les Yézidis, une minorité persécutée en Orient

IRAK • Fuyant les attaques de l’Etat islamique, les Yézidis, réputés «adorateurs du diable», ont vu leur religion stigmatisée à travers l’histoire. Eclairage sur un peuple dispersé.

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Ce n’est que depuis le début juillet 2014 que le monde entier a commencé à entendre parler des Yézidis de la région de Sinjar, au Kurdistan irakien, en raison des massacres commis par l’Etat islamique (EI). Des dizaines de milliers de civils de cette communauté religieuse ont dû quitter leurs villages pour trouver refuge dans leurs montagnes, «les amies fidèles des jours durs», comme on dit chez les Kurdes.

Chassé de ses territoires, ce peuple très ancien de la Mésopotamie doit aujourd’hui faire face à l’horreur d’un véritable génocide. En raison de leurs pratiques religieuses différentes des religions monothéistes officielles, les Yézidis sont considérés comme des «adorateurs du diable». C’est la raison pour laquelle ils ont été victimes de maints massacres à travers leur histoire. Aujourd’hui, les Yézidis traversent une nouvelle période douloureuse, une de plus.

D’origine kurde, vivant en Syrie, Irak, Turquie et exilés en Arménie, Géorgie, Kazakhstan, mais aussi dispersés en Occident, les Yézidis ont subi jusqu’ici «73 massacres et déportations», (73 ferman), commis par les pouvoirs qui les encerclent et les persécutent.

C’est à partir du XIIe siècle que les Yézidis sont considérés comme «adorateurs du diable» par les Musulmans. Cela provient d’un quiproquo qui perdure toujours et qui provient d’une croyance du yézidisme en «un ange déchu», qu’elle appelle «Melek Tawous», l’Ange-Paon, qui est vénéré.

Or l’islam connaît aussi un Ange-Paon, «Iblis», le diable, l’ange condamné dans le Coran. L’Ange-Paon, à cause de son orgueil, de sa beauté, perd la faveur de Dieu. Pris de remords, il finit par se réconcilier avec lui. Mais c’est néanmoins le diable.

L’Ange du yézidisme n’est donc pas, comme interprété par les fondamentalistes musulmans, la personnification du diable (Satan), Iblis, mais un ange qui est resté une émanation bienveillante de la divinité. Selon les Yézidis, le mal comme le bien résident plutôt dans l’être humain qui, lui, est capable de choisir sa voie par sa libre volonté.

Le yézidisme prend ses racines dans le zoroastrisme, l’ancienne religion des Kurdes et des peuples iraniens. Les Yézidis, comme tous les Kurdes, ont préservé certains éléments – notamment culturels – du zoroastrisme, qui est devenu la base d’une interprétation originale de l’islam. Les Kurdes alévis en Turquie ont subi de semblables persécutions au cours de leur histoire, et pour les mêmes raisons, c’est-à-dire leurs références religieuses et culturelles au zoroastrisme.

En raison des répressions subies, les Yézidis se sont dispersés dans les pays avoisinant le Kurdistan, raison pour laquelle ils n’ont pas pu développer une culture urbaine, une histoire culturelle et religieuse écrite. La religion est restée longtemps transmise par la tradition orale. C’est à partir du XIXe siècle seulement que des publications sur le yézidisme ont été éditées.

Leur croyance n’a pas été reconnue pour autant par les pouvoirs islamiques successifs, qui l’ont interdite. Alors que les croyants du Livre (Thora, Bible), ont été, eux, reconnus dans leurs statuts par les mêmes pouvoirs islamiques.

Comme ils étaient des croyants en un Dieu unique, mais pas d’une des trois religions monothéistes admises, les Yézidis se sont confrontés souvent aux exigences de conversions forcées de la part de l’Empire ottoman, des principautés ou tribus arabes, et cela jusqu’au milieu du XIXe siècle, où a enfin eu lieu la reconnaissance des Yézidis par l’Empire.

Afin d’échapper aux persécutions, dans les périodes où celles-ci étaient fortes, les groupes yézidis demandaient aux patriarches syriaques de la région de Mardin de les déclarer chrétiens. Ce que faisait souvent, par exemple, le patriarche du Monastère de Deir al Zaafaran, même s’il savait que ces «adorateurs du soleil» – car les Yézidis prient le matin en direction du soleil levant –, ne faisaient cela que pour sauver leur vie. Ces liens avec les Chrétiens d’Orient se sont poursuivis longtemps, notamment au Kurdistan irakien (Kirkuk et Mossoul), dans la région montagneuse de Sinjar et à Mardin, Batman et Viransehir (Kurdistan turc).

Durant la Première Guerre mondiale, les Arméniens et Assyro-Chaldéens ont subi des massacres et déportations successifs ordonnés par l’Empire turc. Les Yézidis en péril se sont réfugiés dans les montagnes de Sincar, alors comme aujourd’hui.

Après la chute de l’Empire ottoman et la création de l’Etat irakien en 1921 par les Britanniques, aucun statut n’a été attribué à cette minorité. A partir de 1961, avec l’arrivée au pouvoir du régime nationaliste de Saddam Hussein, les Yézidis – comme les autres tribus kurdes – se sont retrouvés face aux politiques d’arabisation forcées.

C’est depuis la chute du régime baasiste en 2003, que la nouvelle Constitution irakienne et le Kurdistan autonome leur ont accordé la liberté de culte. Mais, cette courte liberté est mise en péril aujourd’hui, comme celle des chrétiens, par l’Etat islamique (EI).
 

* Président de l’Association pour le Fonds kurde d’Ismet Chérif Vanly (Prilly, VD).

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