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Son nom figurait apparemment sur une liste…

NIGERIA • IRIN a rencontré plusieurs mères et veuves à Maiduguri, berceau de Boko Haram, qui ont perdu leurs fils ou leurs maris dans la propagation des violences. Témoignages.

Dans le nord-est du Nigeria, des milliers de personnes ont péri dans les affrontements violents qui opposent les insurgés de Boko Haram et les forces de sécurité, et tout porte à croire que le bain de sang va continuer. Les associations de défense des droits de l’homme locales et internationales ont rapporté que l’armée et la police répliquaient aux attentats à la bombe et aux tirs du groupe salafiste par des exécutions extrajudiciaires. Après cinq années d’insurrection, Boko Haram contrôle aujourd’hui des villes de l’Etat de Borno; leur chef Abubaker Shekau a récemment annoncé la création d’un califat autoproclamé.

Le mari de Haja Kalu Shatima, fonctionnaire, a été tué en 2009, au début de la crise. Boko Haram avait tendu une embuscade aux quatorze passagers d’un minibus dans lequel il se trouvait; seulement deux personnes ont survécu à l’attentat. «Ma vie a vraiment changé, mais grâce à Dieu, nous sommes toujours vivants», a déclaré cette mère de sept enfants. Elle peine à joindre les deux bouts en travaillant pour le gouvernement local la journée et en tenant un petit commerce le soir. Ses enfants sont scolarisés gratuitement dans l’une des rares écoles encore ouvertes dans l’Etat de Borno, qui est dirigée par un avocat et philanthrope de la région.

Le mari de Fatima Usman a été enlevé dans sa boutique l’année dernière par Boko Haram. Quelques jours plus tard, elle a appris qu’il avait été tué. Elle ne sait pas du tout pourquoi il a été pris pour cible. «C’était quelqu’un qui n’avait jamais fait de tort à personne.» Elle vit désormais avec ses parents et dépend de ses proches pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses trois enfants.

Si Mmes Shatima et Usman ne laissent pas libre cours à leurs émotions, Maidami Abubakar est toujours en colère contre le policier qui a abattu son mari. Ce dernier avait quitté leur domicile tôt pour assister à un baptême, mais il a été arrêté par la police près d’une église, dans le quartier Polo de Maiduguri, et accusé de transporter une bombe. Emmené dans un poste de police pour y être interrogé, il a été lavé de tout soupçon – «ils lui ont dit qu’il pouvait partir» – mais en arrivant à la porte, un inspecteur a dégainé son arme et lui a tiré dessus, sans raison apparente. Cela s’est passé en 2009; quelques mois plus tard, Mme Abubakar a entendu dire que le policier avait été tué à son tour.

Adama Ali garde l’espoir que Musa, son fils de 23 ans, soit encore en vie. Il a été arrêté quelques jours après avoir été diplômé d’un lycée agricole, en 2013. Son nom figurait apparemment sur une liste, à la suite du meurtre de deux fils d’un responsable des services de sécurité de l’Etat (SSS) du quartier. «Des militaires sont entrés chez moi, ils cherchaient Musa et l’ont arrêté avec son jeune frère», qui a été ensuite relâché. Mais Musa n’est jamais rentré à la maison.

Mme Ali a appris qu’il avait été détenu dans la caserne du bataillon de chars de l’unité 212 avant d’être transféré dans des locaux appartenant aux SSS. «Depuis, personne ne m’a dit qu’il était mort, j’ai dans l’idée qu’il va rentrer un jour… Je suis convaincue qu’il ne fait pas partie de Boko Haram et les gens du quartier me l’ont également assuré.» Son mari, un fonctionnaire, a versé des pots-de-vin à des agents de sécurité pour tenter de retrouver la trace de leur fils, «mais il s’est rendu compte qu’il se faisait berner». Mme Ali: «Je suis complètement perdue. Avant, je prenais le temps de réciter le Coran, maintenant, je ne peux même pas me concentrer… je ne fais que pleurer.»
 

* Agence du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU.

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