Contrechamp

Manger sain pour moins de 15 francs?

SOCIAL • Nombreux, parmi les jeunes vivant à Genève, sont ceux qui disposent d’un budget serré pour se nourrir. Mathilde Bellon, collégienne, a axé son travail de maturité sur ce thème. Sa synthèse montre l’utilité de créer un guide destiné à la jeunesse sur l’offre de repas bon marché.

Onze heures quarante, la cloche du collège de Candolle retentit et des centaines de collégiens se pressent dans les escaliers avec une seule idée en tête: soulager la faim qui les tiraille. Cependant, avec quelques francs en poche, il est difficile de se nourrir à Genève. Bien sûr, il y a toujours les fastfoods ou les cafétérias, mais dès que l’on veut éviter ces endroits, trouver un bon repas peu cher devient mission impossible.

Bien que la Suisse connaisse une situation économique privilégiée par rapport à celle de ses voisins, avec des salaires élevés1 value="1">La médiane du salaire mensuel brut se situant à 5979 francs en 2010, selon le «Mémento statistique de la Suisse 2012» de l’Office fédéral de la statistique,. et un taux de chômage bas – environ 3,2% en 20132 value="2">RTS Info, www.rts.ch/info/economie/4804521-recul-du-taux-de-chomage-en-suisse-a-3-2-en-mars.html–, les prix de l’alimentation y sont beaucoup plus élevés que dans le reste de l’Europe, comme le montre la comparaison entre les tarifs pratiqués en Suisse et chez ses trois plus grands voisins, l’Allemagne, la France et l’Italie.

De ce fait, de nombreuses personnes vivant en Suisse ne peuvent dépenser le budget qu’il faudrait pour s’alimenter de manière équilibrée et variée. Selon une étude de l’Office fédéral de la statistique publiée en 2013, les ménages dépenseraient en moyenne 650  francs par mois pour la nourriture et les boissons non alcoolisées, un budget conséquent, mais avec lequel il n’est pas toujours possible de manger sainement. Trop de viande et de féculents, pas assez de poisson, de fruits et de légumes, ces mauvaises habitudes alimentaires, en plus de créer des problèmes de surpoids, montrent un mauvais exemple aux jeunes qui, dès qu’ils peuvent choisir eux-mêmes leurs repas, se tournent vers des menus avant tout composés de viandes.

En outre, les moyennes nationales ne reflètent pas la situation de Genève, canton qui se caractérise par un taux de chômage deux fois plus élevé que dans le reste de la Suisse. Dans ce contexte, les jeunes sont particulièrement touchés par la problématique du coût et de la qualité de l’alimentation. Parmi les jeunes, il faut distinguer deux catégories distinctes qui ne rencontrent pas les mêmes problèmes et pour lesquelles les solutions envisageables diffèrent.

La première catégorie est celle des jeunes majeurs de 18 à 25 ans qui vivent dans la précarité (lire ci-dessous), auxquels l’Etat n’a plus l’obligation de venir en aide. La deuxième tranche de la population regroupe les étudiants et les collégiens, majeurs ou mineurs, qui dépendent encore financièrement de leurs parents. Ils peuvent aussi souffrir de problèmes d’alimentation, mais pour des raisons différentes que celles des jeunes précarisés et ce, pour deux causes principales: les préférences des adolescents en matière alimentaire et leurs moyens financiers.

A partir de leur entrée au cycle d’orientation, les jeunes peuvent commencer à choisir eux-mêmes leurs repas, car ils doivent souvent manger hors de chez eux. La solution plébiscitée par les parents est la cantine ou la cafétéria de l’établissement scolaire de leur enfant, mais ces lieux ne satisfont pas les adolescents qui préfèrent souvent choisir librement leur repas. Dans certains cycles, le pourcentage d’élèves achetant un repas chaud à midi au restaurant scolaire est de moins de 3%. Au post-obligatoire, c’est-à-dire au collège, à l’école de culture générale ou à l’école de commerce, par exemple, 10% des étudiants prennent un repas chaud à la cafétéria.

Ces chiffres très faibles peuvent avoir différentes causes: l’envie de quitter l’enceinte de l’école à midi, les plats proposés qui ne plaisent pas aux jeunes, les prix trop élevés ou le manque de temps à midi, comme l’explique Aurélie Toninato dans un article de la Tribune de Genève3 value="3">«Le menu des cafétérias ne plaît pas aux élèves», A. Toninato, Tribune de Genève, 25 février 2013.. Les étudiants se tournent donc souvent vers les fastfoods, ou du moins vers une alimentation trop grasse, trop salée ou trop sucrée.

L’adolescence est une période particulière au niveau des besoins nutritionnels. Certains nutriments, comme le calcium, le fer ou le phosphore, doivent être consommés en plus grande quantité durant cette période de la vie, et la croissance nécessite un apport journalier de calories plus important que chez l’adulte, notamment chez les 15-18 ans où les garçons ont besoin en moyenne de 3100 kcal par jour et les filles de 2500 kcal par jour, selon une étude de l’Office fédéral de la santé publique.

Or, à l’âge où l’on peut commencer à choisir son mode d’alimentation, la tentation de se nourrir plus gras, plus sucré et plus salé qu’il ne le faudrait pour satisfaire ses besoins accrus en énergie et pour ne pas dépenser trop d’argent est grande et beaucoup d’adolescents cèdent à cet appel.

La deuxième cause du problème alimentaire des adolescents est leurs moyens financiers. Comme le montre l’étude4 value="4">Etude réalisée dans le cadre de mon travail de maturité. que nous avons menée en 2013 au sein des collèges de Candolle et Voltaire, sur environ 120 collégiens, 68% doivent payer leurs repas pris à l’extérieur avec leur argent de poche. Ils essayent donc pour la plupart de faire des économies dans ce secteur afin de pouvoir conserver plus d’argent pour leurs loisirs. Grâce à cette étude, nous savons que le prix est le premier critère quand les jeunes choisissent leur menu, devant la quantité, la qualité et la diététique. Cela explique l’engouement des jeunes pour les fastfoods où les repas sont très peu chers et les rations généreuses.

Une célèbre chaine américaine de fastfood, par exemple, propose pour 11,70 francs un hamburger à plusieurs étages, des frites et un grand verre de soda. Avec ce même budget, il est pratiquement impossible d’avoir un repas chaud dans un restaurant traditionnel. Il est évident que ces fastfoods remplissent parfaitement les exigences des jeunes qui ne veulent pas dépenser plus de 15 francs pour leur repas de midi et qui, pour la plupart, doivent manger une à deux fois par semaine hors de chez eux.

L’enquête réalisée dans les deux collèges avait aussi pour but de révéler les différences de moyens entre les collégiens scolarisés à Candolle, habitant pour la plupart dans des quartiers favorisés, et ceux du collège Voltaire, venant de quartiers plus populaires. Il apparaît que les élèves de Candolle reçoivent plus d’argent de poche que ceux de Voltaire. Les collégiens de plus de 18 ans, par exemple, sont 40% à Candolle à recevoir plus de 200 francs par mois de leurs parents, contre seulement 20% à Voltaire. Ces différences proviennent de toute évidence des moyens financiers des parents: les parents bénéficiant d’une bonne situation financière pourront donner plus d’argent de poche à leurs enfants, qui pourront donc dépenser plus pour leurs repas et avoir une alimentation plus équilibrée.

Le comportement alimentaire des adolescents dépend du milieu socio-économique dans lequel ils vivent. Les jeunes venant d’un milieu modeste et dont les parents disposent d’un bas niveau d’études consomment plus facilement des produits gras, trop sucrés ou trop salés. Ceci n’est pas uniquement causé par le fait que ces produits sont moins chers que les produits sains. Dans les familles ayant peu de moyens financiers, les enfants doivent plus souvent qu’ailleurs se faire à manger seuls; ils choisissent alors les aliments qui leur plaisent et les moins compliqués à cuisiner. Ensuite, le comportement alimentaire des jeunes est influencé par les habitudes des parents et l’éducation nutritionnelle qu’ils leur ont donnée. Or, la prise de conscience de l’importance d’une alimentation saine est fortement liée au niveau d’éducation5 value="5">«Sixième rapport sur la nutrition en Suisse», septembre 2012, Office fédéral de la santé publique, www.bag.admin.ch/themen/ernaehrung_bewegung/13259/13359/13433/index.html?lang=fr.

Toutes ces raisons font que les adolescents issus d’un milieu modeste sont facilement sujets à des déséquilibres alimentaires et davantage touchés par le surpoids. L’alimentation n’est pas la seule cause des problèmes de santé et de poids. Le manque d’activité physique en est une autre. Faute de moyens, les enfants issus d’un milieu modeste ne peuvent le plus souvent faire du sport que dans le cadre scolaire.

Le lieu de vie influe aussi sur le poids: la présence de parcs, d’espaces verts où se dépenser est plus importante dans les quartiers favorisés; par ailleurs, la situation excentrée de certains quartiers populaires pousse les habitants à prendre davantage la voiture. Concrètement, sur la rive droite genevoise, un habitant sur deux est en surpoids, contre un sur quatre sur la rive gauche6 value="6">«Obésité et surpoids: Genève n’est plus épargné», P. Cancela, Le Courrier, 16 février 2013..

Ce sont ces trois paramètres, l’alimentation, l’activité sportive et le lieu d’habitation, qui créent une corrélation entre le revenu des personnes et leur poids. Il paraît donc nécessaire de trouver des lieux qui proposent des repas sains, peu chers et séduisants tout particulièrement pour les adolescents des quartiers populaires.
Il est possible pour les étudiants de bien manger à Genève pour 15 francs à deux conditions: éviter d’être influencé par la publicité et ne pas céder à la facilité des fastfoods et autres vendeurs de sandwichs qui s’installent à proximité des établissements scolaires; se montrer curieux des possibilités de restauration qu’offre Genève.

Un guide serait donc nécessaire afin d’indiquer de «bonnes adresses» peu chères aux collégiens et aux étudiants. Nous savons d’expérience que ces adresses existent. Nous en avons listé un certain nombre grâce à l’enquête que nous avons menée dans les collèges, mais il faudrait encore élargir cette liste, tester les établissements retenus en déterminant des critères précis quant à la qualité et au coût des produits proposés. Les adresses pourraient ensuite être présentées par zones géographiques autour des différents collèges du canton.

Le cas des jeunes adultes précarisés

La situation des jeunes de 18 à 25 ans qui vivent dans la précarité est particulièrement critique à Genève. Le début de la majorité est très difficile pour eux: du jour au lendemain, ils se retrouvent seuls face à leurs problèmes. Bien sûr, des institutions, comme Point jeunes (anciennement Infor jeunes) de l’Hospice général, et des associations sont à leur disposition pour leur apporter de l’aide, mais ils doivent faire seuls les démarches. De plus, cette tranche de population est défavorisée par rapport à ses aînés, car elle est soumise à un barème inférieur pour le calcul, par exemple, des indemnités de chômage ou du montant de l’aide sociale à laquelle elle a droit.

Etant donné toutes ces difficultés, ces jeunes prêtent peu d’attention à leur alimentation, secteur dans lequel ils essayent de faire le plus d’économies. Ils se nourrissent donc souvent peu et mal. Pour les personnes qui ne peuvent pas payer leur nourriture, il existe à Genève diverses associations qui proposent des repas gratuits ou des denrées alimentaires à prix réduits. Cependant, il est difficile d’y manger deux ou trois fois par jour, car elles sont peu nombreuses – douze selon la brochure La Clé de l’Hospice général7 value="1">La brochure répertorie toutes les associations et institutions genevoises actives dans les domaines sociaux. – et ne servent quotidiennement qu’un ou deux repas.

Pour les personnes disposant de peu de moyens financiers, mais qui ont tout de même un domicile, une piste consiste à apprendre à bien gérer son budget, en consacrant une part suffisante de celui-ci à l’alimentation – on estime à environ 600 francs par personne et par mois la dépense nécessaire pour se nourrir sainement à Genève – et à mieux manger en revoyant notamment leurs habitudes alimentaires. Il est possible, en particulier, de renoncer à manger de la viande à chaque repas tout en gardant un apport nutritionnel suffisant. Ces jeunes ne doivent pas hésiter à demander conseil auprès des organismes qui proposent des cours de gestion de budget, comme l’Hospice général, et qui aident les jeunes précarisés à bien s’alimenter avec un budget restreint.

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