Chroniques

Matière grise

Mauvais genre

Regarder régulièrement des films pornographiques entraînerait une réduction significative du volume de matière grise dans le lobe droit du cerveau, selon le berlinois et très sérieux «Institut Max-Planck pour le développement humain»; la zone liée à la sensation de plaisir, par accoutumance, répondrait en effet de moins en moins aux stimuli et se contracterait. Ces conclusions s’appuient sur un échantillon de 64 individus, tous de sexe masculin: ce qui laisse supposer que les femmes ne regardent pas de porno, ou qu’elles sont de toute manière insensibles au plaisir (comme le leur intimait leur confesseur), ou qu’elles n’ont pas de matière grise (quoiqu’il ait bien fallu leur reconnaître une âme).

Mais ce nombre de 64 cobayes ne pouvait qu’alerter les chercheurs d’une équipe rivale: celle de l’EPFL, Institut Daniel-Brélaz, 3e section, «Sport et développement humain». Car 64, c’est précisément le nombre de matches joués lors de la toute récente Coupe du monde de football. Et l’on est alors en droit de se demander si les effets observés dans le domaine du porno ne pourraient se retrouver dans celui du sport. Après tout, il y a là aussi, dans la majorité des cas, visionnement sur écran et sollicitation du centre du plaisir avec jubilations de nature orgastique.

Pourtant, aussi surprenant que cela puisse paraître, l’étude des 69 sujets retenus pour l’expérience lausannoise, tous footballomanes avérés, a débouché sur des résultats inverses: suivre assidûment les matches de la Coupe du monde à l’écran entraînerait de fait une augmentation considérable de la matière grise, caractérisée par une hypertrophie du cortex préfrontal vérifiable de visu et au toucher: c’est la fameuse «bosse du sport» identifiée par Spurzheim dès 1828.

Il ne suffisait pas de constater, encore fallait-il expliquer une telle différence. Les chercheurs de l’EPFL ont d’abord relevé l’effet de masse, et ses vertus socialisantes: ce sont des dizaines de spectateurs, souvent, qui s’agglutinent autour d’un téléviseur, et qui vibrent avec leurs millions d’homologues de par le monde; au lieu que le plaisir de l’érotomane est plutôt solitaire. La suite ne fait que le confirmer: on voit les supporters de la balle au pied laisser éclater leur jouissance en se ruant tous ensemble dans leurs voitures pour sillonner les villes aux sons joyeux des klaxons. De telles manifestations sont beaucoup plus rares chez les adeptes d’un soutien manuel, qui ont tendance ensuite à sombrer dans l’apathie et la prostration.

Mais surtout, c’est la multiplication des connexions qui a frappé les scientifiques lausannois. Au niveau interne d’abord. Alors que les amateurs de porno en restent au premier degré, les tifosi et autres aficionados opèrent des assimilations fulgurantes: entre une dizaine de joueurs en petite tenue et tout un pays, par exemple; ou entre le jet d’un ballon dans des filets et des questions d’honneur ou de déshonneur. De telles extrapolations sont évidemment révélatrices d’une augmentation quantitative, mais aussi qualitative, de la matière grise, la stimulation du centre du plaisir s’accompagnant d’un chatouillement du sens moral.

L’interconnexion active ne se limite toutefois pas au niveau intracérébral: on a assisté, durant ce dernier Mondial, à une explosion du nombre d’échanges, notamment sur les réseaux sociaux – 672 millions de tweets au total, avec un record de 35,6 millions pour la seule demi-finale. Que ce soit celle-ci, et non la finale Allemagne-Argentine, qui ait suscité autant de réactions, ne manque pas d’interpeller Godefroy Bolomey, le directeur de l’Institut: «Il nous faudra explorer davantage les liens entre le sport et le porno; car c’est tout de même la déculottée du Brésil qui a généré tous ces tweets!»

Reste à examiner les formes diverses que peuvent prendre lesdites réactions. Si le plaisir sexuel s’exprime par des grognements inarticulés, dans les joutes sportives au contraire, les chercheurs ont cru reconnaître, tant à l’oral qu’à l’écrit, des onomatopées constituées d’authentiques phonèmes vocaliques, parfois aussi consonantiques, allant jusqu’à la formation de séquences qui pourraient s’apparenter à des phrases, cohérence syntaxique mise à part. Il semble d’ores et déjà acquis que la recherche dans ce domaine ne pourra faire l’économie des services d’un linguiste.

Mais un problème se pose. Regarder 4 films pornographiques par semaine suffirait à créer une accoutumance fatale pour la matière grise. A l’inverse, un Mondial tous les 4 ans seulement ne risque-t-il pas de stopper son accroissement, d’entraîner même une régression? Le développement humain n’exige-t-il pas de passer à un rythme annuel, voire bimestriel? Une pétition allant dans ce sens a été déposée sur le site Avaaz, elle aurait déjà reçu plus de deux millions de clics – preuve, si besoin était, que les cerveaux des sportifs continuent à vibrionner bien après le dernier coup de sifflet!

* Ecrivain.

Opinions Chroniques Guy Poitry

Chronique liée

Mauvais genre

lundi 8 janvier 2018

Connexion