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Lueur d’espoir autre que Marine?

EUROPÉENNES • Face à la montée en force de l’extrême droite, Alison Katz préconise une forme de «protectionnisme solidaire» porté par une vision écosocialiste.

Suis-je la seule à ne pas ressentir de l’horreur devant le succès de Marine Le Pen, du Front national et des partis similaires lors des récentes élections européennes? Je ne suis pas «horrifiée», car l’horreur du FN et consorts n’est pas sans rapport avec trente ans de mondialisation capitaliste sauvage, laquelle n’est pas, en l’occurrence, le fait de ces partis d’extrême droite, mais de partis «respectables», qu’ils soient sociaux-démocrates ou de droite.

Le succès du FN représente peut-être une opportunité – quoique dans des circonstances déplorables – pour un débat politique honnête. Les partis de droite seront contraints à admettre leurs réels intérêts et les sociaux-démocrates seront mis face à leurs incohérences et à leur trahison du socialisme. Prenons un exemple – l’immigration. Les respectables partis de droite savent pertinemment que l’immigration – et surtout l’immigration illégale – est favorable à l’économie telle qu’ils l’entendent, en maintenant les coûts de la main-d’œuvre à un bas niveau. Tout en revendiquant une approche civilisée et humaine de l’immigration, ils peuvent toujours compter sur le style brut et vulgaire de l’extrême droite pour propager la xénophobie au sein de la population.

Les partis sociaux-démocrates n’ont jamais expliqué à l’électorat les raisons de l’immigration, massive ou autre. Une vraie socialiste dirait qu’elle n’abordera pas la question de l’immigration sans aborder d’abord celles de la mondialisation et de l’exploitation par les pays riches des précieuses ressources humaines et matérielles des pays pauvres. La seule réponse socialiste à la question de l’immigration qui soit cohérente, c’est de raconter une vérité fondamentale à son électorat. Les riches sont riches parce que les pauvres sont pauvres et vice versa. Si cette connexion n’est pas explicitée, la position socialiste sur l’immigration restera incompréhensible pour la population.

Une fois cette vérité dite, une élue socialiste honnête expliquera les choix qui se présentent à l’électorat. Nous pouvons continuer de profiter de l’exploitation des pays pauvres mais le «prix» que nous aurons toujours à payer, c’est l’immigration d’êtres humains contraints de quitter leurs foyers afin d’assurer la survie de leurs proches. Alternativement, nous pouvons décider de contribuer à la construction d’un ordre économique équitable pour que tous les êtres humains soient libres de vivre des vies décentes, avec leurs familles, dans leurs pays – ce qui aurait été la préférence de la plupart d’entre nous. Les implications de ce dernier choix – qui est en fait le seul choix socialiste – c’est de produire autant que possible localement ou dans le pays, de façon équitable et honnête, et de payer le coût réel pour des biens essentiels que nous ne pouvons pas produire nous-mêmes.

Le moment est venu pour les socialistes d’admettre le fait très inconfortable qu’ils sont (ou devraient être) d’accord avec le FN sur quelques questions clés, notamment sur l’UE et le protectionnisme – même si c’est souvent pour des raisons différentes et sur la base d’autres principes. Ce qu’on pourrait appeler le «protectionnisme mutuel» représente une valeur réelle: un protectionnisme dans lequel tous les pays cultivent l’autosuffisance dans l’intérêt de l’environnement (en évitant le transport inutile) et dans l’intérêt de ramener la production et les conditions de travail sous contrôle démocratique. Le protectionnisme n’est pas forcément nationaliste dans le sens d’égoïste. Au contraire, il s’agit d’un élément essentiel de la solidarité internationale et de ­l’écosocialisme, où le but est de créer des environnements vivables pour tous, partout dans le monde.

Enfin, en ce qui concerne la réussite électorale récente de l’extrême droite, pourquoi les partis de gouvernement (comme on les appelle) n’ont-ils pas dénoncé le fonctionnement totalement antidémocratique de l’Union européenne? Le lobbying de la part des grosses multinationales à Bruxelles conduit à une parodie de la démocratie. Mais quel parti a relevé ce problème comme question électorale? Le FN – et pourtant on traite les 25% de la population française qui ont voté pour le FN d’abrutis ignares…

Il est vrai que les chefs des partis d’extrême droite encouragent l’ignorance et l’abrutissement, mais ils le font avec la complicité silencieuse de la droite «respectable» et avec la couardise pitoyable de la gauche «respectable».

* Sociologue-psychologue, membre du People’s Health Movement et du groupe écosocialiste de Solidarités.

Opinions Agora Alison Katz

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