Contrechamp

Une question de vie et de mort

MONDIALISATION • Parmi les questions qui traversent les négociations sur l’Accord de partenariat transpacifique (TPPA), alerte l’économiste Martin Khor, aucune n’est aussi cruciale que l’accès des patients aux médicaments vitaux à des prix abordables, que beaucoup craignent de voir remis en cause.

Si vous, des membres de votre famille ou des amis, souffrez d’un cancer, d’une hépatite, du Sida, d’asthme ou de toute autre maladie sérieuse, cela vaut la peine de suivre les transactions en cours de négociation concernant l’Accord de partenariat transpacifique (TPPA): c’est vraiment une question de vie ou de mort. Car le TPPA risque de supprimer les possibilités d’approvisionnement en médicaments génériques vitaux à des prix abordables, alors que les prix des produits originaux les rendent inaccessibles pour la grande majorité des personnes sur la planète.

Sitôt terminée la polémique sur les médicaments traitant le SIDA, le combat pour des médicaments moins chers s’est déplacé vers le cancer et d’autres maladies mortelles. Récemment, un cancérologue de Nouvelle-Zélande (un des pays du TPPA) a averti que le TPPA prolongerait le coût élevé du traitement du cancer du sein à cause des nouvelles règles protégeant de la compétition avec les génériques les médicaments à base de biotechnologie traitant le cancer. Et la vie de patients atteints du cancer en sera affectée.

Certains médicaments pour le cancer peuvent coûter à un patient environ 100 000 dollars (87 000 francs) pour une année de traitement, bien au-dessus de ce qu’une famille ordinaire peut se permettre. Mais des versions génériques pourraient être produites pour une fraction du prix permettant à des patients d’espérer un remède et un sursis.

En Inde, des entreprises locales se battent pour fabriquer des médicaments plus abordables destinés aux milliers de patients souffrant de cancer du sein, du rein, du foie et de cancer gastro-intestinal ainsi que de leucémie chronique. Par exemple, une entreprise indienne, après avoir obtenu une «licence obligatoire», a produit un médicament générique pour le cancer du rein et du foie dont le prix est 30 fois moins cher que le produit de marque: 140 US$ au lieu de 4580 US$ pour un mois de traitement (122 CHF au lieu de 4000 CHF).

L’Inde a édicté une loi sur les brevets qui les refuse dès lors qu’une formule plus récente de médicaments ou de substances connues n’améliore pas l’efficacité du médicament ou du traitement plus ancien. Selon la législation de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les pays sont libres d’élaborer leurs propres standards en matière d’innovation ou pour juger si un produit est assez novateur sur le plan thérapeutique pour avoir droit à un brevet. Aussi, dans beaucoup de pays, y compris la Malaisie, la loi sur les brevets autorise des entreprises à obtenir des «licences obligatoires» pour importer ou fabriquer les versions génériques de médicaments originaux. Les gouvernements accordent de telles licences si les produits de marque sont trop chers et si les producteurs des produits originaux n’offrent pas de termes attractifs pour une licence volontaire d’autres entreprises.

Des entreprises multinationales (comme Novartis) se sont fortement opposées aux licences obligatoires ou aux lois-type indiennes qui ne tiennent compte des brevets que s’ils constituent de véritables innovations.

C’est ici qu’entre en lice le TPPA. Principalement sur insistance des Etats-Unis, il est demandé aux pays d’accepter des standards «TRIPS-plus» de propriété intellectuelle, qui vont au-delà des règles de l’accord de l’OMC sur la propriété intellectuelle (ADPIC/TRIPS). Les Etats-Unis insistent particulièrement pour que les pays du TPPA consentent à attribuer aux entreprises produisant des médicaments originaux un certain type de propriété intellectuelle dit «l’exclusivité des données» et ceci pendant cinq ans. Celle-ci serait prolongée de huit à douze ans pour les médicaments biologiques (vaccins, dérivés sanguins ou plasmatique…) ou issus des biotechnologies. Or beaucoup de nouveaux médicaments traitant les cancers sont biologiques. Ceci causera d’immenses problèmes aux patients en attente de médicaments moins chers parce qu’avec «l’exclusivité des données», les entreprises de génériques ne pourront plus compter sur les données issues d’essais cliniques et de sécurité réalisés par l’entreprise originale pour obtenir le label de sécurité pour leurs produits génériques.

Ainsi, même si une entreprise de génériques peut prouver que son médicament est bio-équivalent au médicament original qui a déjà passé le standard de sécurité exigé par les organismes de réglementation de la santé, on ne lui permettra pas de vendre son médicament, à moins qu’elle présente ses propres données sur les essais cliniques et de sécurité. Ceci va à l’encontre de la pratique actuelle des médicaments génériques et des normes de sécurité. Mais les Etats-Unis insistent sur ce point dans le TPPA.

Peu d’entreprises fabriquant des génériques disposent des fonds ou de la capacité technique nécessaires pour réaliser leurs propres essais cliniques: des génériques pourraient bien voir leur mise sur le marché retardée de cinq à douze ans dans des pays du TPPA – même s’ils ne dépendent pas de brevets.

Etre privé de médicaments abordables est une question de vie et mort et se soldera par beaucoup de vies. C’est l’aspect le plus franchement significatif du TPPA et c’est pourquoi tant de groupes de patients, d’organismes de santé et d’experts médicaux indépendants ont été outragés et ont exprimé leur opposition au TPPA.

L’extension des droits monopolistes par le TPPA va bien au-delà des normes internationales existantes… Ce serait la première fois dans l’histoire des accords de libre-échange que l’on garantirait des droits monopolistes exclusifs à long terme sur les médicaments biologiques. Chaque année supplémentaire d’exclusivité coûtera aux consommateurs et aux contribuables des millions de dollars. Ce sera rentable pour l’industrie pharmaceutique, mais pas pour des patients atteints de cancer et leurs familles.

Récemment, huit organisations en vue, dont Médecins Sans Frontières, Oxfam, Public citizen, Health Gap (Health Global Access project) et KEY (Knowledge ecology international) ont publié une déclaration exprimant leur profonde inquiétude sur les implications de santé publique que les mesures du TPPA auront pour des millions de patients dans toute la région Asie-Pacifique. Selon ces dernières, la nouvelle approche étasunienne «ne fait pas que prolonger les propositions restrictives et dangereuses pour la santé qui sont préconisées depuis 2011 par les Etats-Unis. Elle échoue aussi à reconnaître l’urgence en matière d’accès aux médicaments pour les patients vivant dans des pays en voie de développement.»

Les organisations rajoutent: «les négociations doivent prendre en compte les besoins de santé de tous les patients vivant dans des pays TPPA et les Etats-Unis doivent cesser de limiter la liberté et la souplesse des pays, sinon le TPPA mettra en danger beaucoup – voire des millions – de vies».

L’Inde a rejeté une demande de brevet sur le Tenofovir, un médicament qui traite le SIDA, après le dépôt d’une opposition de plusieurs organisations. Des versions génériques moins chères sont maintenant disponibles. L’entreprise indienne Cipla a aussi produit une version générique d’un médicament traitant le cancer du rein, le Nexavar, (bien qu’elle ait été poursuivie en justice) ainsi que le Tarceva, qui traite le cancer du poumon. Une autre entreprise indienne, Biocon, a produit une version générique d’un médicament traitant le cancer du sein, le Herceptin. Mais la production a dû être stoppée à cause d’un procès intenté par le fabriquant du produit original. Actuellement se mène une campagne de citoyens pour rendre le Trastuzumab (nom du générique du Herceptin) afin que ce médicament soit disponible à bon marché.

Pour les pays qui ont rejoint le TPPA, il sera très difficile, voire impossible, de mettre en œuvre des politiques ou pratiques semblables à celles de l’Inde si les propositions des Etats-Unis concernant la propriété intellectuelle sont acceptées. En outre, des pays comme la Malaisie, qui ne produisent pas de médicaments génériques, ont l’option de les importer d’Inde. Mais il sera difficile, voire impossible, de les leur vendre, si le TPPA impose les règles d’exclusivité des données du type de celles souhaitées par les Etats-Unis.

Les Malais seraient alors privés de médicaments génériques beaucoup moins chers non seulement pour traiter le cancer, l’hépatite, le SIDA mais beaucoup d’autres maladies, et ceci pendant de nombreuses années. Combien de vies seraient affectées?

Quelques pays sont cependant opposés à certaines des propositions des Etats-Unis. Selon une séance d’information sur le TPPA donnée le 20 février par le ministre malais du Commerce et de l’Industrie, le chapitre portant sur la propriété intellectuelle reste le plus problématique et suscite beaucoup de points de vue différents.

Les points de vue et les positions qui défendent la santé publique doivent prévaloir, car après tout, il s’agit d’une question de vie et de mort.

* Economiste malaisien, Martin Khor est directeur exécutif du Centre Sud, l’organisation intergouvernementale des pays en développement, qui a statut d’observateur auprès de l’ONU, http://fr.southcentre.int/
Traduction: Françoise Bloch

Le TPPA en bref

Au rang des accords de libre-échange plurilatéraux en cours de négociation1 value="1">Dont l’Accord sur le commerce des services TiSA (ou ACS) auquel participe la Suisse; l’Accord de partenariat transatlantique APT (ou TAFTA), entre les Etats-Unis et l’Union européenne; et le TPPA., l’Accord de partenariat transpacifique (TPPA) vise à établir une zone de libre-échange globale en Asie-Pacifique. Il couvre l’Australie, le Brunei, le Canada, le Chili, le Japon, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour, les Etats-Unis et le Vietnam, et représenterait 40% du PIB mondial (à eux seuls, le Japon et les Etats-Unis totaliseraient près de 70% de cette proportion.) Cet accord vise à aborder intégralement tant les questions commerciales «traditionnelles» que du «XXIe siècle», notamment une forte protection de l’investissement et des droits de propriété intellectuelle, la cohérence réglementaire et les marchés publics.

Le Courrier

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