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Bayenet pose les bonnes questions

AGORA GENÈVE • Dans la perspective des élections judiciaires du 13 avril, Aldo Brina, défenseur du droit d’asile, soutient le candidat d’Ensemble à gauche, Pierre Bayenet, au poste de procureur général.

Ainsi donc l’avocat Pierre Bayenet a eu l’outrecuidance de se lancer dans la bataille pour le poste de procureur général contre le champion en titre, le libéral-radical Olivier Jornot. C’est vrai que le procureur actuel jouit d’une aura de bon gestionnaire, encore qu’en comparaison du mandat de son prédécesseur, qui s’est terminé en eau de boudin, il eût été difficile de ne pas briller. Mais la question de la compétence d’Olivier Jornot n’a pas besoin d’être tranchée, car finalement la vraie question n’est pas tant de savoir si la machine judiciaire va mieux, si elle est plus active et mieux huilée, que d’interroger la direction qu’elle prend de ce pas revigoré.
C’est là que le bât blesse, car on ne peut se féliciter de l’efficacité mécanique de l’appareil judiciaire que si celui-ci sert une cause juste. Or les travailleurs de terrain constatent que la justice genevoise investit désormais des moyens exhorbitants à poursuivre les sans-papiers et les voleurs de pommes. Alors que le bilan de cette même justice face aux grands criminels, ceux installés au sommet de la pyramide du blanchiment, du trafic de stupéfiants et autres activités mafieuses, reste plus flou.
Ancien membre du parti xénophobe Vigilance, Olivier Jornot symbolise un tournant populiste inquiétant qui conduit l’Etat à s’en prendre toujours davantage aux plus vulnérables. Député au Grand Conseil, il fut l’artisan de la loi contre les mendiants. Une loi dont les tentatives d’application coûtent cher, sans produire d’autres effets que de stigmatiser une minorité déjà victime de nombreuses discriminations.
Plus récemment, sous son impulsion, ont commencé à tomber les premières condamnations pénales uniquement pour séjour illégal (à ne pas confondre avec la détention administrative en vue d’un renvoi), rendues possibles par une disposition de la loi fédérale sur les étrangers fortement critiquée, et dont l’utilisation faisait jusque-là sans doute trop honte à Genève, attachée au respect des droits humains. On croyait la justice encombrée et les prisons pleines à craquer, et voilà que le pouvoir judiciaire se met à consacrer ses ressources à priver de leur liberté des personnes dont le seul crime est de ne pas avoir de papiers en règle.
La justice répressive trouve sa légitimité dans le fait qu’elle protège les droits humains et les libertés des citoyens. Pierre Bayenet, lui, défend ce principe et se place du côté des plus vulnérables. Il a par exemple défendu, avec succès, un ressortissant burkinabé jusque devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg, faisant condamner la police genevoise pour une arrestation violente durant laquelle le plaignant a eu la clavicule cassée. L’affaire soulève un questionnement malheureusement toujours d’actualité, celui de l’accès à la justice. Les responsables politiques ont beau répondre aux associations que le faible nombre de plaintes pénales déposées contre la police atteste de la bonne conduite de celle-ci, s’il faut huit ans de procédure pour faire condamner des policiers qui ont fracturé la clavicule d’un homme à la suite d’un simple contrôle d’identité, et la persévérance d’un avocat engagé à ses côtés, on peut s’imaginer à quel point les personnes en situation précaire sont dissuadées d’entreprendre des démarches après avoir été brutalisées. Voilà une part d’ombre du système judiciaire qu’il faut rapidement améliorer, notamment en accordant l’assistance judiciaire aux victimes de violences policières, contrairement à la pratique du procureur actuel.
Des questions, il y en a plein: pourquoi le pouvoir judiciaire actuel cible-t-il les plus démunis? Est-ce pour faire du chiffre et montrer une efficacité de façade? Combien coûtent ces journées de détention qui se multiplient? La prison a-t-elle pour mission d’écarter tous ceux qui dérangent ou répond-elle à des impératifs de protection des citoyens et de réinsertion des délinquants? Voulons-nous une police félicitée pour avoir décapité d’importants réseaux mafieux, ou une police condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour ses violences?
Ce sont les questions que Pierre Bayenet nous pose, et les réponses qu’il avance, basées sur son expérience quotidienne de terrain, sont convaincantes. On ne peut qu’espérer que la saine soif de justice qui l’anime se propagera bientôt parmi toutes celles et tous ceux qui se revendiquent d’un certain progressisme.

* Chargé d’information sur l’asile.

Opinions Agora Aldo Brina

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