Contrechamp

Un toit en dur à Santiago

CHILI • La fondation Techo aide les habitants des bidonvilles de Santiago du Chili à se construire des logements en dur. Un processus raconté par Damien Magat, étudiant en architecture à l’EPFL, qui y a participé.
Le campamento Aguada Sur DR

Pablo, 12 ans, vit dans le campamento Aguada Sur. Comme des milliers d’enfants de son âge, il n’aura sûrement pas la possibilité d’accéder à des études supérieures. Dans les quartiers pauvres du Chili, seuls 14 enfants sur 100 pourront suivre de telles études.

Un campamento est un regroupement d’habitats informels situé dans le tissu urbain, composé d’un minimum de huit familles vivant sur un terrain qui ne leur appartient pas, ayant un mauvais accès à l’eau ou à l’électricité.

Dans ces quartiers, la fondation latino-américaine Techo (Toit) intervient pour construire des logements dignes de ce nom et les rendre accessibles à la population. Ces habitats nouveaux redonnent à la fois de l’espoir, un nouveau point de départ avec au moins la sécurité d’avoir un chez soi, un hogar, dans lequel les futures générations pourront se construire et, espérons-le, construire un Chili plus juste.

La fondation Techo a été créée en 1997 au Chili dans un contexte de fortes inégalités sociales qui se retrouvent dans les conditions de logement de la population. Avant d’essaimer dans toute l’Amérique latine, elle a débuté en construisant des logements d’urgence à la suite de catastrophes, avec notamment une action très importante après le tremblement de terre de 2010. Elle s’est maintenant entièrement tournée vers la construction de «logements définitifs».

La fondation Techo intervient avec une systématique dans les campamentos. A son arrivée, elle constitue une assemblée qui réunit chaque mois tous les habitants. En parallèle, un comité se retrouve chaque semaine avec un architecte, un ingénieur et un assistant social. Techo commence par construire une bibliothèque et une salle d’assemblée. Ensuite, un long processus d’organisation, de cinq à sept ans, se met en place, ayant comme objectif la construction et l’octroi d’une maison à chaque famille. En plus de l’élaboration du projet de logement et des démarches pour l’obtention des subventions étatiques, la fondation propose un soutien social par des ateliers de formation ou de l’aide à l’éducation. Techo se compose de professionnels salariés et de jeunes bénévoles, dont j’ai fait partie pendant quatre mois, en tant qu’étudiant en architecture à l’EPFL, avec l’association Ingénieurs du Monde.

La fondation a également la capacité de répondre rapidement aux événements imprévus, comme lors des averses exceptionnelles qui se sont abattues durant plusieurs jours consécutifs sur Santiago en mai dernier. Via la radio, la télévision et les réseaux sociaux, elle a lancé un large appel aux volontaires et aux dons. Des centaines de bénévoles ont procédé à la distribution de sacs de nourriture et de charbon pour le chauffage dans les différents campamentos inondés. Tout le personnel de Techo s’est alors retrouvé sur les toits des bidonvilles à changer les tôles les plus endommagées et boucher les trous, sous la pluie. Les familles, souvent touchées par notre détermination, nous invitaient à manger et nous réchauffer chez elles.

Techo travaille simultanément sur un nombre important de projets pour utiliser efficacement le temps entre chaque démarche. J’ai ainsi eu la chance d’assister à plusieurs cérémonies de remise des clés, qui est le moment ou les familles reçoivent une à une leur maison. A chaque fois, c’est un moment émouvant durant lequel les familles ont les larmes aux yeux: elles auront enfin un toit et une salle de bain. Lors d’une de ces cérémonies, les paroles de la présidente d’un campamento étaient révélatrices: «Ces nouvelles maisons sont le fruit d’années d’efforts et d’organisation en commun. Beaucoup de personnes ont travaillé dur pour que ce moment puisse arriver aujourd’hui, pour voir les enfants jouer dans leur nouvelle place de jeux et les parents prendre soin d’eux dans leur nouvelle maison.» Le côté participatif du logement social est primordial pour sa réussite.

La notoriété et la réputation de Techo sont très élevées au Chili. L’efficacité de son fonctionnement est en grande partie due à la participation active de la jeunesse chilienne dans le mouvement et à une bonne communication pour la motiver. Deux fois par année, la fondation organise des «Trabajos Universitarios» durant les vacances. Ce sont des camps de travail dans des campamentos durant lesquels des étudiants vont construire un petit projet pour les habitants: salles de réunions, places de jeux, infrastructures diverses ou encore des logements dans les régions reculées où les familles ne peuvent pas postuler aux logements de l’Etat. Le but est à la fois de sensibiliser les étudiants d’aujourd’hui qui seront la classe moyenne de demain aux problèmes de pauvreté et d’inégalité du pays, de tisser un lien avec les habitants des campamentos et évidemment de construire quelque chose d’utile.

Au cours de mon travail à Techo, je me suis mêlé à un groupe de jeunes universitaires locaux durant une semaine dans le campamento Pulmón Verde, situé entre des voies de chemins de fer en bordure de la deuxième ville du pays; Concepción. Le but de la semaine était de construire une place de jeux sur un terrain laissé à l’abandon et devenu une décharge.

Après plusieurs heures de terrassement, un couple nous a invités à nous réchauffer chez eux et à manger des sopaipillas pasadas (spécialité du sud du Chili). Ils nous racontèrent leur vie et leur étonnante success story. Tous deux n’ont jamais fini l’école secondaire, mais grâce à leur détermination et en se levant à l’aube tous les matins, ils ont réussi à passer du chariot duquel ils vendaient du pain à une véritable micro-boulangerie. Ils nous ont aussi expliqué que d’autres habitants venaient souvent leur demander de l’argent avec plus ou moins de pression. En effet, dans les campamentos d’une certaine taille, il y a souvent des gangs qui profitent de l’absence de la police et du laisser-faire de l’Etat pour s’y installer. Pourtant, ce couple nous dit que même si on leur offrait une maison ailleurs, ils ne pourraient pas partir. En effet, c’est grâce à sa localisation stratégique que leur commerce fonctionne si bien.

Tout s’est bien déroulé lors de notre semaine à Concepción jusqu’à ce qu’un coup de feu éclate. Tout le monde s’est mis au sol sans comprendre ce qui se passait. A une dizaine de mètres, deux jeunes voulaient empêcher un vieil habitant d’agrandir sa baraque. Le ton est monté et ils ont ouvert le feu sur sa maison. Les deux assaillants sont ensuite partis et après quelques minutes les enfants ont recommencé à jouer comme si de rien n’était.

La mère d’un des enfants m’a alors dit: «C’est pour ça qu’on a tant besoin d’une place de jeux fermée avec une clôture. On veut que nos enfants soient protégés, tant du chemin de fer que de ce genre d’incidents.» Dans la journée le vieil homme est revenu avec une camionnette et est parti, avec tout ce qui se trouvait dans sa maison.

L’avenir dira si la nouvelle présidente du Chili, Michelle Bachelet, fera de la fin des campamentos une priorité, comme elle l’a affirmé lors du dernier débat télévisé de sa campagne électorale. I

 

L’habitat précaire, très répandu au Chili

Dans les campamentos, les maisons sont construites à partir de matériaux de récupération, la plupart du temps à même le sol, avec des tôles sommaires en guise de toit. Au Chili, on n’en dénombre pas moins de 657, abritant 27 378 familles. Dans la région de Santiago, plus de 4600 familles vivent dans ces quartiers, d’après le dernier recensement du Ministère chilien du logement et de l’urbanisme.

Une autre particularité du logement précaire au Chili est celle des blocks. Elle concerne beaucoup plus de monde que les campamentos puisqu’à Santiago seulement, selon les services du cadastre, 630 000 habitants, soit 10% de la population, vivent dans des blocks. Il s’agit de logements sociaux mal conçus et mal construits érigés dans les années 1970 et 1980 lors de tentatives de développement du pays par la dictature de Pinochet.

Etonnamment, les blocks connaissent une plus forte concentration de violence et de trafic de drogue que les campamentos, car l’organisation très familiale de ces derniers exerce un certain autocontrôle social. De plus, prenant racine dans des tissus vides de la ville, les campamentos sont en général bien situés et offrent donc plus d’opportunités d’emploi légal.

Malgré cette différence, certaines caractéristiques urbanistiques se retrouvent tant dans les blocks que dans les campamentos. Les communes où ils sont situés disposent d’une urbanisation lacunaire et d’une mauvaise connexion avec le centre-ville. Elles manquent aussi d’infrastructures, d’écoles, de centres de soin, de postes de police… On notera qu’à Santiago, il y a plus de magasins d’alcool par habitant que de policiers, et que ces magasins se trouvent dans les quartiers pauvres, et les policiers dans les quartiers riches…

Le Chili est un pays émergent qui se targue d’être le «jaguar de l’Amérique latine» mais de fortes inégalités y maintiennent un profond malaise social.

Opinions Contrechamp Damien Magat

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