Contrechamp

OSER L’HABITAT COOPÉRATIF

LOGEMENT • Equitables, conviviales, de qualité, les coopératives d’habitation demeurent une solution trop peu utilisée dans un canton comme Genève, en proie à une endémique pénurie de logement et à des loyers abusifs, estime Guillaume Käser. Une question de volonté politique.  

Un immeuble comprenant une salle commune, des chambres d’amis à chaque étage. Des voisins qui se connaissent, s’entraident, vont à tour de rôle chercher les enfants à l’école et leur font à manger. Des décisions prises en commun pour l’affectation d’un espace, la création d’un jardin potager ou de jeux d’enfants. Un immeuble qui se construit de concert avec ses futurs habitants, en tenant compte de leurs besoins, de leurs idées. Une gestion totalement transparente, car effectuée par ses habitants qui approuvent les comptes, décident des provisions pour travaux et de la politique d’emprunts hypothécaire. Des loyers de 20% inférieurs au marché. Des locataires, mais aussi des propriétaires collectifs, des propriétaires sans but lucratif, efficaces et responsables… Un rêve?

Non, juste une coopérative d’habitation. La recette est simple et éprouvée, mais les logements en coopérative restent actuellement un mirage et une infime part du parc locatif genevois qui stagne à 4%. Et ce, en dépit d’un système bien rodé et de la présence d’acteurs compétents. Le fait est que certaines communes sont méfiantes ou privilégient les fondations communales – à grands frais publics. Quant à l’Etat, il s’avère incapable de mener une politique foncière active et significative depuis des décennies. Résultat: les promotions privées ont libre cours, les prix des loyers s’envolent et les services sociaux doivent ensuite subventionner les locataires soumis à des loyers stratosphériques.

Pourtant, les premières coopératives d’habitation se sont développées dès le début du XIXe siècle, notamment les fameuses cité-jardin ouvrières. La solidité et l’intérêt de l’habitat coopératif ont ensuite fait leurs preuves et le modèle s’est développé dès l’après-guerre. Aujourd’hui, la Confédération suisse promeut les coopératives et organise régulièrement des colloques à ce sujet. Cependant, le bilan des coopératives en Suisse romande reste bien maigre.

A notre époque de forte pénurie, de hausse abusive et incontrôlée des loyers, de pauvreté architecturale des projets de logement, il est temps de prendre les coopératives au sérieux et de développer cette forme d’habitat.

Un habitat de qualité, écologique et bon marché
La société coopérative est, somme toute, une forme d’organisation très «suisse»: elle pose en son centre les prises de décisions démocratiques et le principe qu’un membre possède une voix, quelles que soient ses parts dans la société. La notion de coopération est fondamentale: les coopérateurs s’investissent dans un projet commun tant pour voir aboutir des idéaux que par intérêt économique, les parts sociales des membres font office de capital pour la société coopérative. La gestion des coopératives doit, dès lors, être responsable et à la hauteur des risques pris par les coopérateurs. Dans ces sociétés, les membres sont à la fois les investisseurs – ils amènent les capitaux et prennent les risques – et les bénéficiaires  –locataires, ils habitent l’immeuble. Ce double statut, en complément à la gestion démocratique, est garant d’une gestion équilibrée et responsable du bien commun, constamment débattu et discuté. Sans but lucratif, la coopérative ne recherche pas les profits rapides ni maximum, mais bien la pérennité de ses activités et la qualité de ses prestations.

Les coopérateurs s’impliquent dès la conception des logements pour développer des immeubles de qualité, qu’ils vont habiter eux-mêmes et dans lesquels ils investissent 5 à 10% de fonds propres. Cette situation inédite oriente les choix vers la qualité des typologies, la durabilité des matériaux et la création d’espaces mis en commun comme prolongation des logements: salles communes, chambres d’amis, stockage pour achats communs, locaux de travail partagés, aménagements extérieurs de qualité, etc. Les concours d’architecture organisés par les coopératives valorisent et développent la culture architecturale locale par leur questionnement permanent des différentes manières d’habiter, la recherche de typologies nouvelles, les innovations spatiales ou techniques. C’est, par exemple, le concours pour la reconstruction du site d’Artamis, à la rue du Stand, en ville de Genève, ou celui plus récent pour la transformation complète du quartier de Vieusseux, siège de la plus ancienne coopérative genevoise. Cette liberté et cette recherche de qualité sont rendues possibles tant par les motivations idéales des coopérateurs que par le caractère non lucratif des réalisations: l’enjeu réside non plus uniquement dans le rendement économique des immeubles, mais dans leur qualité spatiale, leur bilan environnemental et dans la qualité des interactions sociales qu’ils favorisent.

C’est au sein des coopératives que se déroulent les expériences les plus poussées au niveau environnemental: les premiers immeubles aux labels Minergie P et Minergie Eco, les expériences technologiques, par exemple, de façade productrice d’énergie, les toilettes sèches, les économies d’énergie. Les coopérateurs sont très intéressés à investir quelques pourcents de plus lors de la construction pour ensuite économiser à long terme des charges à l’exploitation. A nouveau, l’investisseur-coopérateur est/sera l’usager-coopérateur qui règlera les factures de charges de consommation. Cette situation est très différente des promotions immobilières classiques qui incitent les promoteurs à réduire leurs coûts à l’investissement – et, partant, la qualité –, tout en maximisant les rendements de ventes ou de locations (maximisation des profits). Le coût des charges de consommation à payer par les habitants étant le dernier souci des promoteurs.

Des résultats rapides et probants pour les communes, sans investissements
Le statut sans but lucratif des coopératives est associé avec le principe des «loyers couvrant les coûts». La fixation des loyers est ainsi déterminée de manière à couvrir les coûts de la coopérative, y compris les provisions pour travaux sur le long terme. C’est ce principe majeur qui permet aux coopératives d’offrir des loyers abordables et stables sur le long terme: par le biais des amortissements, la dette hypothécaire diminue régulièrement, réduisant les charges financières. Ainsi, selon les études de l’Office fédéral du logement, les coopératives d’habitation proposent des loyers en moyenne 20% en dessous des loyers du marché, voire parfois plus. L’esprit des loyers à prix coûtant est bien loin des largesses du Code des obligations qui permet aux propriétaires de majorer systématiquement les loyers lors des changements de locataires, sans aucune justification en rapport avec les coûts réels des immeubles, enclenchant artificiellement la spirale à la hausse.

La difficulté qui freine le développement des coopératives réside dans l’accès au foncier. Les achats fonciers, en période de surchauffe immobilière, demandent des fonds importants, immédiatement disponibles et des prises de décisions très rapides. Les coopératives parviennent rarement à acquérir des terrains sur le marché. Elles dépendent en général de leur partenariat avec les pouvoirs publics qui leur mettent à disposition des terrains en droit de superficie. La Confédération encourage ces collaborations entre les collectivités et les coopératives.

La politique fédérale du logement est fondée sur la subsidiarité entre l’action des communes et des coopératives, pour créer des logements sans but lucratif et à loyers maîtrisés. Les communes acquièrent des terrains et les mettent ensuite à disposition des coopératives, contre le paiement d’une rente de superficie. De la sorte, l’investissement financier est réalisé par les coopératives et ne mobilise pas les ressources financières de la commune. L’investissement initial de la commune dans le foncier est renté par le biais de la rente du droit de superficie. Ce type de montage assure un bon rendement de l’investissement et les communes sont gagnantes sur le moyen terme.

La politique publique du logement social trouve dans les coopératives un partenaire naturel très intéressant pour concrétiser les buts politiques à moindre frais: les coopérateurs réalisent des investissements privés, mais sans but lucratif, pour le compte des pouvoirs publics. Ces derniers, maîtres des terrains, définissent les types de logements souhaités, les populations cibles, les modalités d’attribution des logements. A Genève, les coopératives sont regroupées au sein du GCHG, Groupement des coopératives d’habitation genevoises, qui vise à favoriser la coopération entre coopératives et à promouvoir les intérêts du mouvement coopératif auprès des autorités.

Faire des choix politiques clairs
Le développement des coopératives passe par des choix politiques clairs et par le développement d’une politique foncière active. A l’exemple de la commune de Meyrin et de son écoquartier des Vergers, qui a sélectionné sept coopératives pour développer ses importants droits à bâtir (600 logements sur un total de 1200).
Les Verts genevois soutiennent de longue date les coopératives qui correspondent à cette vision de l’habitat. Pour développer une politique foncière active, les Verts ont déposé un projet de loi introduisant le droit d’emption à Genève: ce droit permettra à l’Etat et aux communes d’acquérir des terrains de manière prioritaire lors des déclassements. Cette mesure permettra d’accroître les acquisitions foncières et la remise de terrains aux coopératives d’habitations.

Il est temps que Genève se réveille et confie plus de projets aux coopératives d’habitation, si un jour ce canton souhaite rattraper la performance de Zurich, dont 20% du parc locatif est détenu par des coopératives!

Opinions Contrechamp Guillaume Käser

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