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L’Israfrique passe aussi par la musique

ISRAËL • La campagne internationale de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) appelle les artiste invités en Israël à ne pas se produire dans un pays qui pratique l’apartheid, la colonisation et refuse le droit au retour de millions de réfugiés palestiniens.  

L’invitation faite ce mois-ci à plusieurs artistes maliens, Salif Keita et le couple Amadou et Mariam, de se produire au Festival de musique sacrée de Jérusalem (du 20 au 23 août) a fait couler beaucoup d’encre. Inévitablement, comme nous l’avions fait en début d’année avec Erik Truffaz ou Jacky Terrasson, ces artistes ont reçu des courriers émanant de la campagne internationale de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), les appelant à ne pas se produire dans un pays qui pratique l’apartheid, la colonisation et refuse le droit au retour de millions de réfugiés palestiniens1 value="1">http://tinyurl.com/m7hbw3c. En attendant que ces musiciens prennent leur décision en conscience, nous nous posons également quelques questions.

En effet, ces invitations mettent en lumière la nouvelle politique de séduction que l’Etat israélien mène depuis peu, à l’attention de certaines communautés d’Afrique. La politique israélienne à l’égard de l’Afrique, ou Israfrique, tente d’abord de faire oublier sa longue collaboration avec l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid. En dehors des discrets contrats de ventes d’armes et de matériel d’espionnage passés avec de nombreux gouvernements africains, elle s’est singularisée par son engagement dès 2007 aux côtés des rebelles au Darfour, et aujourd’hui avec le Sud-Soudan et ses ressources pétrolières et minières, contre le régime de Khartoum. Pour ce faire, l’Etat israélien emprunte une rhétorique simpliste et trompeuse, opposant des «Africains» soutenus par Israël, contre des «Arabes» qu’on imagine proches des Palestiniens. Cette description volontairement raciste passe sous silence le fait que tous les protagonistes sont africains et noirs et qu’ils sont pour la plupart arabophones et musulmans.

Ces liens avec l’Afrique occultent la situation des Africains en Israël. D’abord, il faut rappeler que tous les citoyens ne bénéficient pas des mêmes droits et du même accès aux services publics, selon qu’ils sont juifs ou d’une autre religion, chrétiens ou musulmans. Une soixantaine de lois ont été identifiées comme clairement discriminatrices, et pas moins de quatorze obstacles administratifs rendent plus difficile aux non-juifs l’accès à l’université, pour ne prendre que cet exemple. Par ailleurs, les juifs d’origine éthiopienne y sont notoirement discriminés et un scandale récent vient de révéler que les femmes ont subi des campagnes de contraception forcée pendant de nombreuses années. Quant aux autres immigrés africains, non-juifs, illégaux ou supposés tels, plusieurs douzaines d’entre eux ont récemment été blessés lors de pogroms racistes dans les rues de Tel-Aviv. On a même entendu la députée Miri Regev qualifier l’immigration africaine de «cancer de la société israélienne». Le gouvernement israélien n’est pas en reste puisqu’il les qualifie d’«infiltrés», leur interdit d’envoyer de l’argent dans leurs pays, arrête hommes, femmes et enfants et les entasse dans le camp de Saharonim, près d’Eilat, avant de les expulser, parfois en accord avec leur pays d’origine et en échange de nouveaux contrats d’armement!

C’est dans ce contexte que la politique israélienne à l’égard de l’Afrique passe aussi par la musique. Plusieurs officiels israéliens l’ont reconnu: la politique culturelle israélienne est partie intégrante de sa stratégie politique internationale, et en particulier de ses efforts de propagande pour améliorer son image. Sans l’aide du gouvernement, comment un promoteur israélien pourrait-il inviter des musiciens africains, sachant qu’Israël est un petit marché et qu’il n’est pas sur la route des tournées habituelles? Ainsi, il n’est pas étonnant que des instances étatiques israéliennes, comme celle qui organise le Festival de musique sacrée de Jérusalem, cherchent à s’associer à un pays africain, le Mali en l’occurrence, qui fait la «une» des journaux pour une guerre présentée également comme un conflit entre «Africains» et «Arabes». Alors que des artistes maliens ne s’étaient que très rarement produits en Israël auparavant, depuis deux ans, les invitations pleuvent: Oumou Sangaré, Vieux Farka Touré, Amadou et Mariam, Fatoumata Diawara, Tinariwen, et maintenant Salif Keita.

Dans les années 1970, marquées par des décennies de lutte contre la colonisation, les artistes africains se rangeaient spontanément du côté des Palestiniens et auraient refusé de telles invitations. Aujourd’hui, pour des raisons contractuelles, il est plus difficile pour les artistes de mettre en avant la motivation politique de leurs annulations, et ils vont prétexter un conflit d’agenda, la fatigue ou la crainte pour leur sécurité personnelle. Malgré tout, de plus en plus d’artistes africains s’engagent publiquement dans des actions de boycott culturel de l’Etat d’Israël: la Malienne Oumou Sangaré, l’Egyptienne Natacha Atlas ou les Sud-Africains Ladysmith Black Mambazo, Andy Kasrils ou Ewok, par exemple, mais aussi les Sud-Africains du comité Artists Against Apartheid ou les Kenyans du Palestine Solidarity Committee, récemment engagés contre un festival du film israélien organisé à l’Alliance française de Nairobi2 value="2">www.pambazuka.org/en/category/advocacy/87806. C’est en effet quand les Etats se mêlent de culture que les artistes, mais aussi les spectateurs, se rendent compte du rôle politique qu’ils jouent, et sinon qu’on leur fait jouer…

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