Contrechamp

LEÇON D’ESPOIR EN PALESTINE

TÉMOIGNAGE • Annick Marmy a passé trois mois dans le village de Yanoun, au sud-est de Naplouse, en Territoires occupés; elle décrit le quotidien des habitants face à l’avancée des colons israéliens. Des paysans palestiniens qui conservent l’espoir de retrouver, un jour, leurs terres.  

Cette année, 65 ans se sont écoulés depuis la Nakba [l’exode des Palestiniens à la suite de la création de l’Etat d’Israël en 1948, ndlr]. Le conflit israélo-palestinien continue de faire couler de l’encre et sa résolution n’est pas prochaine. Normalisé, il se résume actuellement aux échanges de missiles entre Israël et Gaza: leur nombre et celui des morts et des blessés, disproportionnés. Le Hamas semble parfois représenter l’ensemble de la population palestinienne. Nous parlons trop peu du citoyen et de la citoyenne, de l’enfant, de la vie de l’autre côté du mur, de la vie sous occupation.

En écrivant cet article, mon but est de partager avec vous mes impressions sur cette vie. J’ai été volontaire comme observatrice des droits humains pour le EAPPI. Nous étions cinq dans l’équipe stationnée à Yanoun, un petit village au sud-est de Naplouse. Notre mission était d’abord d’offrir une présence protectrice permanente aux villageois, menacés par les colons. Puis il nous fallait assister et rapporter les incidents survenant dans les villages alentours et dans la vallée du Jourdain.

Trois mois, j’ai vécu aux côtés des habitants. Sous le regard incessant des avant-postes d’Itamar, j’ai partagé les joies et les craintes d’une petite centaine de Palestiniens de tous âges. J’ai dessiné, ri, joué au football avec les jeunes et les enfants du village. J’ai aidé les femmes à préparer le pain dans le taboun (le four), à mouler le grain, à cueillir les haricots, elles m’ont appris à cuisiner. Ces habitants sont devenus mes amis, mes proches. Ce village est devenu «chez moi».

Pourtant, il est un paradoxe. Une prison de quiétude, où la beauté du paysage et l’hospitalité des habitants vous coupent le souffle autant que l’injustice vous brûle les yeux. La partie supérieure du village est en zone C, sous total contrôle israélien. Les restrictions imposées empêchent la construction ou la rénovation de bâtiments et le développement de nouvelles infrastructures. Les récents travaux de rénovation de l’école ainsi que l’aménagement d’un système d’eau courante, illégaux selon la loi militaire israélienne, ont été rendus possibles par l’aide de différentes organisations mais ont aussi été la source d’appréhension pour la petite communauté: est-ce que les colons vont semer le trouble? Est-ce que l’armée va venir tout détruire? Aucune menace directe n’est venue inquiéter les villageois mais les baraques israéliennes, également illégales selon le droit israélien ainsi que le droit international, continuent de se propager sur les collines alentour. Des terres sont perdues, l’étau se resserre, l’oppression se ressent de plus en plus.

Devant une situation qui ne cesse de se dégrader, comment réagissent les Palestiniens? Jour après jour, je les écoute. Ils m’offrent du thé ou du café, délicieusement trop sucré. Tous ont au moins une histoire triste à raconter. Révoltée, je me mets à leur place. Comment est-il possible de rester aussi patients et sereins? Ils ne s’emportent pas, ils analysent le conflit, ils ne font pas d’amalgames. Les colons idéologiques sont la cible de leurs critiques, les colons économiques ou les habitants de Tel Aviv ne sont pas directement accusés, même si, bien évidemment, ils ont également leur part de responsabilité.

Le judaïsme n’est pas non plus attaqué. Au contraire, les colons idéologiques sont accusés de ne pas être des «bons» croyants, car aux yeux des Palestiniens, ils détournent leur religion à de mauvaises fins et ne suivent pas ses préceptes. En Palestine, la confession n’a que peu d’importance. Musulmans, chrétiens ou samaritains sont d’abord palestiniens, ils résistent ensemble pour une même cause. A cette image Mariam Salem, une chrétienne palestinienne de Deir Jarir, manifeste contre le vol des terres de son père, keffieh sur les épaules. Elle s’insurge contre l’autorité israélienne qui, d’après elle, ne cherche pas la paix: «Israël doit respecter les conventions, les colons doivent partir, ce sont nos terres, les terres de mon père sont ici». Une semaine plus tard sur ces mêmes terres, musulmans et chrétiens prient ensemble. La démonstration pacifique est réprimée par les jets de gaz lacrymogènes et autres artifices antiémeutes de l’armée israélienne venue protéger les colons: un schéma qui se répète1 value="1">Voir Five broken cameras, documentaire de Emad Burnat et Guy Davidi, 2011..

Malgré tout, les Palestiniens gardent espoir. L’espoir de retrouver leurs terres, leur vie et leur liberté: la paix. Je vous invite à visiter le petit village d’Al Aqaba et ses 300 habitants qui vivent sur le flan de la vallée du Jourdain. Vous y trouverez une auberge mais également une garderie, une société des femmes, un club de sport, une usine de thé et de fromage, une mosquée neuve, une clinique et quelques maisons récemment construites. Comme Yanoun, le village se trouve en zone C et 95% des constructions ont reçu un ordre de démolition, actuellement gelé. Si le village déborde d’activité, il le doit à son maire, Haj Sami Sadeq qui «a marié la cause».

Il est une figure de la résistance pacifique palestinienne. Alors qu’il avait seize ans, Haj a été blessé par des tirs de l’armée israélienne: trois balles. Depuis lors, il se déplace en chaise roulante. Haj continue pourtant à défendre la paix, car il ne veut «voir personne d’autre, Palestinien ou Israélien, dans une chaise roulante». Sa stratégie est de construire et reconstruire les maisons du village à l’encontre des directives israéliennes. Il veut offrir un toit aux jeunes mariés et aux 700 réfugiés d’Al Aqaba, essentiellement partis en 1967. Haj s’afflige que la paix, Israël ne la veuille pas vraiment. Il raconte: «Il y a une route dans le village, elle porte le nom de ‘paix’, l’armée est venue la détruire trois fois en une année». Cette route, il compte bien la réparer une quatrième fois et prévoit par la suite l’ouverture d’un restaurant qui nourrira les invités de l’auberge.

Cet espoir inconditionnel et déroutant, je l’ai également vu à Qusra, un village voisin de Yanoun. Durant mon séjour, Qusra a vécu une semaine «noire». L’armée a détruit des pylônes électriques, des confrontations avec les villageois ont suivi et la journée s’est terminée avec trente-trois poteaux à terre, plusieurs blessés et l’arrestation d’un jeune de quinze ans détenu plus de 24 heures. Pendant la nuit, une voiture a été détruite, quatre ont été incendiées par des colons et des soldats. La semaine s’est achevée avec une attaque de colons armés contre un paysan et sa femme travaillant aux champs. Un schéma connu s’est mis en place. Alors que le couple se retirait, les villageois sont venus en renfort. Désarmés, ils ont fait face à l’armée venue protéger les colons et à leur arsenal antiémeute.

Lors de cet affrontement, quarante oliviers ont été déracinés et cinq Palestiniens ont été emmenés à l’hôpital, dont un jeune, blessé à l’œil par une balle en caoutchouc. Un autre était suspendu entre la vie et la mort après avoir reçu la balle dum-dum d’un colon dans l’estomac, il se nomme Hilme. Heureusement, il est parvenu à s’en sortir, diminué d’une dizaine de kilos et d’un tiers de foie.

Notre équipe a assisté à ces événements et est restée en contact avec le maire. Une collègue a également rendu visite plusieurs fois à Hilme et sa femme, enceinte, alors qu’il était à l’hôpital. De retour à la maison, faible mais rétabli, Hilme et sa famille nous ont invités à dîner. En bons hôtes, nous n’avons pas trop mangé. Le père d’Hilme nous a alors raconté une histoire. Le village de Qusra est entouré d’avant-postes et de colonies dont ils souffrent beaucoup. Pourtant, les villageois reconnaissent que les colons de Migdalim ne sont pas agressifs et qu’ils vivent en bonne entente. Un jour, comme parfois, des habitants de la colonie descendirent au village pour faire des achats. Voyant arriver ces étrangers, les enfants de Qusra s’armèrent de pierres. Hilme s’est interposé, il a demandé aux enfants de lâcher les pierres, protégeant les colons israéliens. Mon collègue lui a demandé s’il agirait encore de la même manière aujourd’hui. Plein d’humanité, Hilme a affirmé que oui, il s’interposerait à nouveau, même si le geste serait plus difficile.

Tant d’espoir et malgré tout, l’avenir reste incertain. Les Palestiniens constatent l’avancée des colonies et la persistance de l’occupation. La solution à deux Etats à laquelle ils tiennent tant ressemble chaque jour un peu plus à une utopie. Lorsqu’ils envisagent la solution à un Etat, une question revient inlassablement sur les lèvres: «Aurons-nous nos droits?». L’écho des arabes israéliens ne permet pas de l’affirmer. La requête des Palestiniens est pourtant simple, ils veulent la liberté, la justice: le droit de vivre chez eux, en paix.

Je me promène dans Ramallah, Naplouse, Bethléem, Jénine. En zone A, contrôlée par l’Autorité palestinienne, je vois le potentiel de la Palestine. Des villes qui se développent, de beaux bâtiments, de bonnes universités, des rues propres, animées, sûres, des commerçants qui font affaires. Chez les habitants, les qualités humaines ne manquent pas. Ailleurs aussi, les ressources existent. Seulement, leur accès est drastiquement limité – plus de 60% de la Palestine est en zone C, selon UNOCHA2 value="2">Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies. et 150 communautés palestiniennes sont séparés d’une partie de leurs terres par le mur – et la sécurité de l’investissement manque.

Aujourd’hui, je ne souhaite rien de plus que la justice et la liberté pour les Palestiniens, la paix pour les gens d’Israël et de Palestine. Elle est nécessaire à tous pour construire un avenir. Pour y parvenir, la communauté internationale doit prendre conscience et prendre ouvertement position. Aussi lourd que soit le passé des Israéliens, rien ne justifie des actions illégales devant le droit international et à l’encontre des droits humains.
 

Notes[+]

*Observatrice des droits humains pour le Programme œcuménique d’accompagnement en Palestine et Israël (EAPPI).

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