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L’accélération des procédures, une vaste supercherie

ASILE • Voter oui le 9 juin permettrait d’accélérer des procédures d’asile trop longues, assènent les autorités. Derrière la rhétorique de l’«accélération», Marie-Claire Kunz pointe la désinformation du public.  

Quand une journaliste assène sans autre commentaire que Simonetta Sommaruga, notre wonderwoman nationale, va réduire la durée des procédures d’asile de 1400 à 140 jours, et que cette dernière, sans démentir, explique, sur un ton paternaliste dont elle a le secret, que c’est pour le bien des réfugiés et pour préserver la soi-disant tradition humanitaire de la Suisse, deux choses au moins sont sûres. Primo, la journaliste n’a pas jugé nécessaire de lire le rapport dont ce chiffre est extrait. Secundo, Mme Sommaruga, en bon petit soldat, a décidé de désinformer le public, car l’accélération des procédures est le seul moyen qu’elle a trouvé pour défendre, la tête haute et au nom du Conseil fédéral, une révision qu’elle sait pourtant fondamentalement absurde et injuste.

En réalité, selon ce rapport, qui est à l’origine du nouveau modèle de procédure que les phases de test soumises au vote permettront d’instaurer, les 1400 jours en question englobent tant la durée de la procédure d’asile que la période durant laquelle l’exécution du renvoi s’organise, après le traitement de la demande. La durée de cette période dépend pour l’essentiel de la collaboration avec les pays d’origine des demandeurs. Ces 1400 jours comprennent aussi les procédures extraordinaires engagées après coup, parce que des éléments nouveaux surviennent inévitablement durant cette phase d’attente, souvent interminable. Et les chiffres mis bout à bout le montrent clairement: les délais les plus longs se situent non pas durant la procédure d’asile, mais après sa clôture. Des délais auxquels ni le discours politique, ni la révision en cours ne s’attaquent sérieusement et sur lesquels les révisions précédentes sont restées sans effet.

La procédure d’asile proprement dite est rapide et les statistiques sont loin d’être alarmantes. Selon les chiffres de l’Office fédéral des migrations (ODM), près de 60% des demandes d’asile sont traitées en moins de six mois, soit quelques 180 jours, avec une moyenne globale de 232 jours. Ce rapport montre aussi que cette moyenne est artificiellement gonflée par les délais d’attente liés au gel de certains dossiers par l’administration elle-même. L’ODM exerce en effet des priorités, en suspendant les demandes émanant de pays où la situation politique et sécuritaire justifierait l’octroi d’une protection, afin «d’éviter un effet d’attraction», à l’instar de la Syrie aujourd’hui et, avant elle, le Sri Lanka, l’Irak ou l’Erythrée.

Une moyenne en cours de réduction, indépendamment de toute révision de loi sur l’asile. L’ODM a effectivement mis en place, depuis quelques mois, des procédures accélérées pour les pays des Balkans, du Maghreb et la Géorgie. Ces procédures ont permis de réduire la durée de traitement des demandes à 172 jours. Quant à la durée des procédures de recours devant le Tribunal administratif fédéral (TAF), là encore, les statistiques sont rassurantes. Elles duraient 300 jours en moyenne en 2011, alors que le TAF était encore entrain de liquider des cas très anciens, hérités de la fusion des commissions fédérales au sein du nouveau tribunal en 2007, un passif presque résorbé aujourd’hui. Fin 2012, le TAF a ainsi traité 68% des recours dont il était saisi en moins de douze mois et 57% en moins de six mois.

Au final, notre wonderwoman ressemble davantage au vaillant petit tailleur du conte, qui se targue de réduire les procédures de 172 jours à 140 jours. 32 jours d’un coup! Grignotés pour l’essentiel sur les délais de recours qui passeront de 30 à 10 jours, et qui ne feront que se reporter plus loin, dans cette fameuse phase d’exécution des renvois, dont la prise en compte a miraculeusement disparu de la statistique. Cela justifiait-il une nouvelle révision de la LAsi, alors qu’il est démontré qu’elle n’a pas été nécessaire jusqu’ici pour réduire la durée des procédures? Et surtout cela justifiait-il de sacrifier au passage les déserteurs érythréens et de livrer quelques cadavres de plus à la mer en supprimant les procédures d’ambassade?
 

* Membre de la Coordination contre l’exclusion et la xénophobie.

Opinions Agora Marie-Claire Kunz

Dossier Complet

Votations du 9 juin 2013

mardi 30 avril 2013
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