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«Qui dit préjugé ne dit pas forcément discrimination»

VEGGIE PRIDE • En réaction à la Veggie Pride de samedi dernier à Genève, Bertrand Cassegrain estime que les militants antiviande font fausse route en se positionnant comme victimes de «végéphobie».  

Je suis végétarien, et je le suis pour des raisons éthiques. Je considère en effet que les animaux sont des êtres sensibles, c’est-à-dire qu’ils ont la capacité de ressentir la souffrance et le bien-être, et qu’il est dès lors injuste de leur infliger souffrance et mort pour un simple plaisir gustatif.

Malgré cela, je ne me reconnais pas dans la Veggie Pride, et encore moins dans l’édition 2013. Passons sur l’aspect «pride», ou «fierté» en français, à propos duquel je suis sceptique. Cela n’est pas très important. Peu importe l’enrobage, si la Veggie Pride permet de faire parler de la cause animale, alors j’applaudis des deux mains. Mais cette année, patatras! Les organisateurs ont décidé de mettre en avant la «végéphobie» et les discriminations dont nous, végétariens et végétaliens, serions victimes. Végéphobie? Discrimination? Voilà des mots qui sont forts. Serions-nous discriminés à l’embauche? Refoulés à l’entrée des discothèques? Nous est-il interdit de voter et de nous présenter au suffrage universel? N’aurions-nous pas le droit de nous exprimer librement? Devons-nous, dans les transports en commun, céder notre place aux carnivores? Sommes-nous tabassés dans la rue aux cris de «Sales végétaliens!»? Non, rien de tout cela.

Parmi les exemples cités par les organisateurs de la Veggie Pride, nous subirions… des moqueries. Sans vouloir railler qui que ce soit, cela me paraît un peu léger pour en appeler à l’ONU. La plupart des médecins ne seraient pas bien informés quant aux régimes végéta*iens1 value="1">Le terme «végéta*ien» regroupe indistinctement les termes «végétarien» et «végétalien».. Dans une population où les végéta*iens sont (malheureusement) une petite minorité, cela n’a rien d’étonnant. Mettre en lumière ce point est une chose, crier à la violation de nos droits fondamentaux en est une autre –aucun médecin que j’ai rencontré jusqu’à présent n’a refusé de me soigner sous prétexte que j’étais végétarien: c’est un tel comportement que nous pourrions qualifier de discriminatoire, pas ses lacunes en diététique.

Nous pourrions poursuivre ainsi pendant longtemps. Mon impression est que ce que les organisateurs de la Veggie Pride appellent «végéphobie» ou «discrimination» n’est rien d’autre que l’ensemble des préjugés auxquels se confronte n’importe quel militant, quelle que soit la cause que celui-ci défend. Il est difficile pour certains jeunes d’annoncer à leur famille amateur de viande qu’ils veulent devenir végétariens? Que dire du jeune militant socialiste qui doit faire part de ses activités politiques à sa famille conservatrice (et vice-versa)? Sauf que le second, avec raison, ne lance pas de pétition et ne s’estime pas victime de «socialismophobie». Il existe des préjugés à propos des partisans des droits des animaux? Il en est de même pour les écologistes, les anarchistes, les humanitaires, les gens de gauche, ceux de droite… De ce point de vue, les militants de la cause animale ne sont ni mieux, ni moins bien lotis que les autres. Pour le dire autrement, qui dit préjugé ne dit pas forcément discrimination.

Evoquer les difficultés que rencontrent les végéta*iens dans un monde basé sur l’exploitation animale n’est pas en soi dénué d’intérêt. Toutefois, se poser en victime, et présenter cette problématique en brandissant la bannière de la discrimination et, implicitement, de la prétendue violation de nos droits fondamentaux est à mon sens une énorme erreur.

Premièrement, comme nous l’avons vu, il n’est pas vrai que nos droits fondamentaux, en tant que végéta*iens, soient bafoués. Dès lors, en endossant de manière bien peu crédible les habits d’un Calimero qui s’exclame à la moindre contrariété que «c’est vraiment trop injuste!», ce type de discours provoque ce qu’il condamne – entre autres les blagues douteuses. De plus, il fait fuir ceux qui, sans être entièrement convaincus, avaient néanmoins une attitude bienveillante à l’égard des droits des animaux. Autrement dit, il nous fait perdre bêtement de précieux alliés potentiels.

Deuxièmement, le risque est grand de faire passer au second plan la lutte qui nous a fait devenir, nombre d’entre nous, végétariens ou végétaliens. Pour ne prendre qu’un exemple, lorsque certains exigent que les restaurants proposent des plats végéta*iens au prétexte que l’absence d’un tel choix constitue une discrimination à notre égard, le (faux) message qui transparaît est que, si nous voulons qu’un tel choix existe, c’est par confort personnel. Or, si je désire que les restaurants proposent des plats végéta*iens, ce n’est pas pour moi, mais pour les animaux qui sont les véritables victimes de nos pratiques culinaires. Car ce sont bien eux les victimes, pas nous, et ce sont eux qui devraient être mis en lumière. Malheureusement, après cette Veggie Pride 2013, il y a des chances pour que les discussions tournent plus autour des militants que de la cause qu’ils défendent.

Ainsi, il n’est peut-être pas toujours facile d’être végéta*ien, mais pas parce que nos droits sont bafoués. Nous ne sommes pas discriminés, nous ne sommes pas des victimes. Nous ne sommes que des personnes ordinaires dont les convictions, comme beaucoup d’autres, rencontrent des résistances. Avoir un discours «victimisant» ne nous aidera pas à les abattre, bien au contraire.

Notes[+]

* Assistant au Département de science politique et relations internationales, Université de Genève.

Opinions Agora Bertrand Cassegrain

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