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Les enjeux de pouvoir et de genre mis au placard

GENÈVE • Hélène Upjohn déplore la prééminence de la neurobiologie dans le programme du prochain Forum des violences domestiques, au détriment des composantes politiques du sujet.  

Le Bureau des violences domestiques à Genève annonce son 10e Forum des violences domestiques pour le 25 avril prochain, avec le titre tapageur: La violence est-elle héréditaire? La question pose toutefois plusieurs problèmes et, tout d’abord, des questions d’ordre méthodologique.

A la question: la violence est-elle héréditaire sera répondu, oui, la violence est héréditaire. Ce genre d’interpellation polémique du grand public devient une habitude fastidieuse. Dans la question est induite la réponse.

Le problème que pose un tel forum qui convoque à la rescousse des intervenants chercheurs et neurologues, médecins et pharmacologues du monde psychiatrique, c’est qu’il emboîte le pas à une idéologie bien contemporaine selon laquelle la science dirait la vérité.

Ainsi, la «science fondamentale» avec force graphismes, imageries, statistiques pourrait nous prouver les «bases cérébrales» de nos comportements. C’est oublier bien vite que la science n’est jamais qu’un système construit, une vision du monde idéologique comme une autre, avec des enjeux de pouvoir et des implications ici pharmaceutiques et institutionnelles certaines.

D’un point de vue méthodologique encore, on observera le saut qui consiste, à partir de la définition de la violence comme «une des spécificités du genre humain, seul mammifère qui en soit capable au-delà des simples besoins de survie», à interroger les «prédispositions de chacun, chacune d’entre nous à agir ou à subir des comportements violents».

Ici, la violence est affaire de «prédisposition», c’est-à-dire une question individuelle de personnes «cérébro-lésées», affaire de génétique et d’hérédité donc. Ainsi, selon un tel raisonnement, en arriver à devoir considérer «les options de traitement» semble incontournable.

Par ailleurs, face aux «prédispositions de chacun-e à agir ou à subir des comportements violents», on ne manquera pas de s’étonner de cette singulière indistinction entre celui/celle qui agit (l’agresseur) et celui/celle qui subit (la victime), l’un et l’autre susceptibles de «prédispositions».

Faire l’impasse sur cette distinction, c’est manquer l’enjeu même de l’expression de pouvoir qui se joue dans la violence. C’est aussi faire l’impasse de genre qui consiste à dire – et on l’aurait attendu annoncé dès le programme du forum – qu’en termes de violence, les femmes en sont les premières victimes – aussi bien dans les violences familiales que dans les violences sociales et politiques, ici en Suisse, comme ailleurs dans le reste du monde.

Ignorer ces acceptions politiques au départ, c’est, me semble-t-il, conférer une toute-puissance à la science, et ici aux neurosciences, sans interroger les enjeux de pouvoirs et les intérêts pharmaceutiques faramineux qui s’y jouent.

On appréciera le large panel de professionnels conviés à ce forum public gratuit – magistrat-e-s, médecins, travailleur-euse-s sociaux, avocat-e-s, policier-e-s et étudiant-e-s. Toutefois, et en raison même de la vocation formatrice et informative de ce forum, on regrettera profondément l’absence de voix critiques conviées.
Je trouve alarmant que le Bureau des violences domestiques persiste à considérer la violence sans considérer les enjeux de pouvoir et de genre qui la traversent. Je trouve par ailleurs préoccupant qu’une part aussi massive aux approches neurobiologiques soit faite au sein du programme d’un forum organisé par l’Etat de Genève sans que les positions critiques soient invitées.

On ne peut oublier que la manière dont on définit, mais aussi dont on répond à la violence, est pour chaque époque et chaque société une façon de penser la société. Les définitions et les réponses données ici proposent un monde décidément trop étroit.
 

* Formatrice en éducation et promotion à la santé, Genève. Les citations sont extraites du programme du forum, www.ge.ch/violences-domestiques/actualites/
25-04-13.asp

Opinions Agora Hélène Upjohn

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