Contrechamp

«DONNER UNE CHANCE DE S’EN SORTIR»

Éducation • Réussir une formation post-obligatoire est essentiel pour se lancer dans le monde du travail. Au rang des projets de suivi individuel pour les jeunes en rupture, le programme Voie 2 de Caritas Genève propose une formation dans la vente ou le travail administratif. Présentation.

A Genève, on estime à environ 1000 le nombre de jeunes adultes en rupture professionnelle ou de formation. Ces jeunes ont terminé l’école obligatoire, mais n’ont ensuite pas réussi à poursuivre leur formation ou à trouver une activité professionnelle. Or, les études prouvent que réussir une formation post-obligatoire est essentiel pour débuter une bonne carrière. Une formation insuffisante peut avoir des conséquences sur tous les aspects de l’existence: accès difficile ou impossible au marché de l’emploi, faible revenu, perte de l’estime de soi et exclusion sociale.

Les statistiques de l’Office genevois pour l’orientation, la formation professionnelle et continue (OFPC) montrent que les jeunes non diplômés ont quatre fois plus de risques que les autres de se retrouver au chômage. Avec le spectre d’un glissement vers l’aide sociale, sans grand espoir de pouvoir ensuite en sortir. Environ 15% des jeunes de moins de 25 ans sont aujourd’hui au bénéfice de l’aide sociale. Ils dépendent financièrement de la société et présentent souvent de multiples difficultés.

Quel est le profil des jeunes en panne de formation? Pascal Huguenin-Eli, psychologue à l’OFPC, refuse de stigmatiser ces personnes. «Les facteurs sont nombreux et se cumulent. On ne peut tirer des conclusions généralistes. Evidemment, les jeunes qui viennent à l’OFPC sont tous déstabilisés d’une manière ou d’une autre. Derrière chaque cas, il y a une rupture, qu’elle soit professionnelle, de formation ou qu’elle concerne la vie privée».

Pour Norberto Isem Chen, responsable du programme de formation et d’insertion professionnelle Voie 2 à Caritas Genève, les problèmes sont certes multiples, mais tous ces jeunes ont tout de même certains points communs. Ils ont souvent vécu une situation familiale difficile, ils ont un faible niveau scolaire et ils ont, au fil du temps, perdu l’estime d’eux-mêmes.

Face à ces constats, comment faire pour venir en aide à ces jeunes sans formation et leur donner une chance de s’insérer dans un marché du travail saturé, qui a tendance à engager des jeunes sur-qualifiés? En 2006, la Confédération lance le case management - formation professionnelle, qui désigne le suivi individuel des jeunes en difficulté pour augmenter leur chance d’effectuer une formation initiale. Sous cette impulsion, plusieurs cantons ont coordonné leur action. A Genève, un groupe de suivi a été mis en place. Avec une approche pluridisciplinaire et personnalisée, il aide les jeunes en difficulté à trouver une formation. «On signe un contrat avec les jeunes et leurs parents et on les accompagne jusqu’à ce qu’ils trouvent quelque chose» explique Pascal Huguenin-Eli. Dans ce cas de figure, on est plus dans une démarche d’insertion que d’orientation, explique le psychologue.

Caritas Genève s’est aussi engagée dans cette question. L’institution a mis en place une structure de formation professionnelle et d’insertion. Initié en 2005, le programme Voie 2 vise à réintégrer des jeunes en rupture scolaire ou professionnelle en leur proposant une formation de qualité dans le domaine de la vente ou du travail administratif. Au sein de Caritas, les apprentis bénéficient d’une formation professionnelle initiale de deux ans qui débouche sur une attestation fédérale. Un raccord vers la filière CFC (3 ans au total) est ensuite envisageable et le projet prévoit une passerelle vers le premier emploi. Cet apprentissage peut également se faire dans d’autres entreprises qui désirent s’engager et transmettre leur savoir-faire.

Pour Norberto Isem Chen, un atout majeur du programme réside dans son double objectif. «Le programme assure à la fois un accompagnement des apprentis tout au long de leur formation et les confronte en même temps à la réalité du travail: contact avec la clientèle, adaptation aux exigences et au rythme du monde du travail, intégration au sein d’une équipe, respect des règles établies, autonomie, etc.».

Par ailleurs, la stratégie d’encadrement individualisée du programme Voie 2 s’avère efficace: en raison de la complexité de leur situation, ces jeunes en difficulté ne sont pas en état de bénéficier des structures traditionnelles de formation. Par contre, avec un encadrement personnalisé axé sur la valorisation de l’estime de soi et le renforcement de compétences dans un environnement professionnel motivant, ces jeunes réussissent leur formation et reprennent confiance en eux.
Pour T., apprenti en 3e année CFC, l’encadrement a été déterminant pour qu’il réussisse à s’accrocher. «Il y a eu beaucoup de hauts et de bas tout au long de ma formation. Le plus difficile a été la gestion de ma vie professionnelle en même temps que la gestion de ma vie privée. Aujourd’hui, j’ai pris confiance en moi et j’ai beaucoup appris sur les méthodes de travail. Professionnellement, cela m’a apporté une certaine autonomie et maintenant, je sais que je suis compétent.»

Depuis juin 2012, Caritas Genève et la filière suisse du groupe Barclays ont lancé un projet commun de mentorat. Pendant leur dernière année d’apprentissage, les apprentis du programme Voie 2 ont la possibilité d’être suivis par un collaborateur ou une collaboratrice de la banque Barclays pour les aider à se préparer au mieux à leur carrière professionnelle. Avant de commencer le projet, Audrey Daumain, responsable du projet à la banque Barclays, a cherché à comprendre les besoins de Caritas. Comment est-ce que la banque pouvait apporter quelque chose de concret aux jeunes? Pour elle et Norberto Isem Chen, les choses étaient claires dès le départ. Le projet doit offrir une opportunité supplémentaire aux jeunes de Voie 2 afin d’augmenter leur chance d’insertion sur le marché de l’emploi. Le projet a fait l’unanimité auprès des employés de la banque Barclays et une quinzaine de personnes s’est portée volontaire pour y participer bénévolement.
Qu’est-ce qui pousse une banque comme la Barclays à s’investir dans des programmes à finalité sociale? «Pour le groupe Barclays, c’est très important de soutenir concrètement les communautés dans lesquelles nous sommes implantés. Et ce projet de mentorat s’inscrit pleinement dans la stratégie du groupe et plus particulièrement en Suisse où nous sommes très actifs» nous explique Valéria Cholat, responsable marketing. L’engagement social de Barclays est axé sur la nouvelle génération: elle soutient les jeunes en leur transmettant des compétences en matière de gestion financière, gestion d’entreprise ainsi que d’autres compétences pratiques dans le but de faciliter leur indépendance financière et une nouvelle confiance en soi. Ce projet est également un moyen pour la banque de fédérer ses collaborateurs autour d’un projet commun.

Certains apprentis de Caritas se sont étonnés de cette collaboration. «Une banque c’est fait pour donner de l’argent!», s’exclame une apprentie. «C’est quand même bizarre que Caritas travaille avec une banque. On ne fait pas partie du même monde», dira T. Mais pour Caritas, ce type de projet prend tout son sens. Les jeunes vont pouvoir se confronter à la réalité du travail, tout en s’appuyant sur le soutien et l’expérience de professionnels.

La réussite du projet repose essentiellement sur le rapport de confiance entre les mentors et les apprentis qu’ils suivent. «Au préalable, nous avons discuté des attributions avec Norberto Isem Chen. Ensemble, nous avons décidé quel mentor suivra quel apprenti», explique Audrey Daumain. Ensuite, la banque a organisé une réception pour que tout le monde puisse faire connaissance. «C’était extraordinaire. Tous les apprentis se sont mis sur leur 31. Même entre eux, ils ne se reconnaissaient pas», se souvient Dimitri, collaborateur de la banque participant au projet de mentorat.

Pour le responsable du programme à Caritas, ce sont des moments importants pour les apprentis. «Peu d’entre eux ont l’habitude de mettre un costume et d’être reçus en grande pompe dans le salon d’une banque.»

Pour les mentors, c’est un moyen de partager leur expérience professionnelle et personnelle. Thang, réfugié politique en Suisse depuis 1975, était enseignant à l’EPFZ durant dix-huit ans avant de commencer à travailler à la banque Barclays. Aussi, ce projet est pour lui l’occasion de renouer contact avec ses années d’enseignement et de soutenir un jeune qui débute sa carrière professionnelle. Pour Dimitri, qui a commencé sa carrière très jeune, c’est un moyen de montrer aux apprentis qu’avec de la persévérance, on peut arriver loin dans la vie. Au final, l’expérience est enrichissante pour tout le monde. «C’est incroyable à quel point ces jeunes sont touchants. Chaque fois que je rencontre mon apprentie, j’en sors grandie» nous confie Audrey Daumain.

Au départ, tous les jeunes qui avaient accepté de participer au projet étaient sceptiques. Ils ne comprenaient pas très bien en quoi les mentors pourraient les aider. Pourtant, l’alchimie a rapidement pris au sein de la plupart des paires. A raison d’un rendez-vous par mois en moyenne, les mentors et les jeunes ont établi une relation de confiance. «Je me suis rendu compte que mon mentor est d’un grand soutien. On s’entend très bien et il m’aide beaucoup dans mes réflexions. C’est important pour moi d’avoir un mentor qui me suive réellement», nous confie un apprenti. De son côté, Dimitri est étonné de constater tous les progrès du jeune qu’il suit. «Il a repris confiance en lui. C’est quelqu’un de très mature qui a beaucoup de compétences. Je suis sûr qu’il va réussir dans la vie.»

Pour d’autres, l’expérience est moins concluante. Sur douze apprentis qui ont commencé le projet, cinq continuent à voir leur mentor. Certains sont sortis du projet parce qu’ils ont réussi leur diplôme et qu’ils n’ont pas jugé utile de continuer à voir leur mentor. Dans certains cas, la relation de mentorat s’est arrêtée après la première rencontre. D’autres ont trop souvent oublié de venir aux rendez-vous. Ce fait a poussé leur mentor à mettre un terme à leur collaboration.

Pour Audrey Daumain, un jeune qui veut trouver du travail doit accepter certaines contraintes et doit se responsabiliser. Thang a été un peu déçu. Avec son passé d’enseignant, il avait très envie d’aider la jeune qui lui avait été confiée. «Elle n’est pas venue au premier rendez-vous. Finalement, nous avons réussi à nous rencontrer. C’est une personne intelligente et chaleureuse. J’ai essayé de l’aider dans ses démarches professionnelles. Sans succès.» Peu de temps après, il apprenait qu’elle avait préféré arrêter sa formation.

Norberto Isen Chen rappelle que ce projet permet au mentor de mobiliser les ressources du jeune dans le but de l’encourager à finir sa formation et l’aider à réaliser son projet professionnel. Il est là pour offrir au jeune, à travers une relation de soutien et d’échanges, l’exemple d’un adulte intégré socialement et professionnellement. Mais attention, il ne s’agit pas d’une relation à but thérapeutique. Pour Audrey Daumain, il faut maintenir une relation professionnelle. «Le mentor n’est pas là pour couver les apprentis. Si l’objectif est qu’ils augmentent leur chance de trouver du travail, ils doivent aussi accepter et comprendre certaines dures réalités. On est là pour les aider et les soutenir, on ne peut pas les sauver.»

Ce projet est une pièce d’un grand puzzle que Caritas construit autour des enjeux liés à la formation. En renforçant ses liens avec les institutions publiques et privées et les entreprises, Caritas entend élargir ses filières de formation afin de proposer des nouvelles activités. Quoiqu’il en soit, l’institution a un objectif précis: remettre les gens en selle pour qu’ils s’assurent un avenir meilleur. I
 

* Paru dans Le journal n° 479, décembre 2012, Caritas Genève.
Le programme Voie 2 est soutenu par le fonds chômage de la Ville de Genève. 60% du programme repose sur des soutiens privés de Caritas. Rens.: www.caritasge.ch/p107001195.html

Opinions Contrechamp Camille Kunz

Connexion