Contrechamp

De Sangatte à Choucha: la grande prison

MIGRATION • Migreurop publie la cinquième édition de la «Carte des camps», poursuivant son travail de recensement des dispositifs législatifs, administratifs et politiques en Europe qui se matérialisent par l’installation de camps, toujours plus nombreux, destinés à accueillir, trier puis renvoyer les étrangers.

Chaque année, dans l’Union européenne (UE) et chez ses voisins, des centaines de milliers d’enfants, de femmes et d’hommes sont enfermés ou mis l’écart  au seul motif qu’ils ne disposent pas d’un titre de séjour en règle. Pour la seule année 2009, on dénombrait, rien que sur le territoire de l’UE, près de 600 000 personnes «sans-papiers» enfermé-e-s dans l’attente d’une expulsion, sans compter celles et ceux qui sont détenu-e-s à leur arrivée dans un Etat membre dans l’attente d’être refoulé-e-s (près de 500 000 en 2009 pour les 27 pays de l’UE) ou relégué-e-s dans des campements informels (jungles de la région de la région de Calais, tranquilos de la région d’Oujda au Maroc) voire détenu-e-s dans les pays voisins de l’Union (Turquie, Libye, etc.).

Depuis dix ans, le réseau Migreurop tente d’identifier ces lieux, dont il n’existe nul recensement officiel, afin de faire prendre conscience à la société civile de cette réalité. La cinquième version de la Carte des camps en Europe et dans les pays méditerranéens que Migreurop publie le 30 novembre 2012 montre qu’ils se multiplient. Près de 420 lieux d’enfermement ont ainsi été dénombrés, et ce alors qu’aucune information précise n’est disponible pour l’Algérie, la Tunisie, la Jordanie et la Syrie, pas plus que pour que l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Russie et la Biélorussie, pays éligibles à la politique européenne de voisinage (PEV) et/ou ayant signé un accord de réadmission communautaire. En 2012, la capacité totale connue – soit un peu plus de la moitié des camps recensés par Migreurop – est d’environ 37 000 places. Mais ce chiffre ne traduit qu’une partie de la réalité. D’une part, dans beaucoup de centres, le nombre de personnes effectivement détenues est supérieur à la capacité d’accueil théorique. D’autre part, les autorités ont recours à une multitude d’autres lieux qui ne figurent pas dans les listes officielles (campements informels, locaux (aéro)portuaires, bateaux de la marine marchande, etc.).

Placés hors de l’espace public
Les conditions de vie matérielle difficiles auxquelles les étranger-e-s détenu-e-s sont confronté-e-s les dissuadent de rester sur le territoire du pays dans lequel ils se trouvent. Ce fut le cas au cours des trois années d’existence du camp de Sangatte (octobre 1999 – décembre 2002) dont le dixième anniversaire de la destruction est actuellement rappelé par diverses manifestations dans la région de Calais. C’est encore le cas à Choucha, au sud de la Tunisie, près de la ville frontière de Ben Guerdane, où des centaines de personnes ayant fui la Libye en 2011 restent bloquées. Qu’il s’agisse des camps qui se répandent aux frontières de l’Europe ou des lieux «officiels» de détention, la stratégie des autorités est la même: placer les migrant-e-s hors de l’espace public de telle façon que ce qui se passe à l’intérieur ne soit pas connu à l’extérieur.

Comme Sangatte il y a dix ans, la fermeture du camp de Choucha est annoncée pour 2013. Au nom de la même politique de dissuasion et d’exclusion, les autorités tunisiennes, sous la houlette de l’UE et avec la bénédiction du Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR), s’apprêtent à abandonner des femmes et des hommes qui ne peuvent retourner dans leur pays d’origine, ni en Libye où la gravité des exactions envers les exilé-e-s n’a pas cessé depuis la fin de la guerre1 value="1">FIDH. Migreurop, Justice sans frontière pour les migrants (2012), Lybie, en finir avec la traque des migrants, 82 p.. Pour rappel, c’est dans un contexte similaire que le HCR avait, en 2002, offert son concours aux gouvernements français et britanniques  pour «clarifier la situation des étrangers dans le camp» (de Sangatte). On connaît le sort qui est, depuis, réservé aux milliers de femmes et d’hommes qui transitent par la région de Calais: vivre à la rue dans des conditions dégradantes sous le harcèlement quotidien des policiers.

Quotidiennement, les victimes de ces injustices tentent de percer le mur de silence dont on veut les entourer. Comme à Choucha, c’est le cas en Grèce, dans le camp de Komotini où près de 500 migrant-e-s protestent contre leurs conditions de détention2 value="2">www.ekathimerini.com (23 novembre 2012) Migrant protest detention conditions in Komotini.. Entre 2010 et 2012, plusieurs centaines de manifestations de révolte ou de désespoir (grèves de la faim, incendies, automutilations) ont été recensées par Migreurop. En Italie, en 2011, un père de famille marocain s’est suicidé dans le CIE (centre d’expulsion) de Milan, deux Tunisiens (à Bologne et à Rome) se sont cousus la bouche pour s’opposer à leur déportation et près d’une trentaine de tentatives de suicide ont eu lieu dans le camp de Lampedusa.3 value="3">Migreurop (2012) Atlas des migrants en Europe. Géographie critique des politiques migratoires, Paris, Armand Colin, 144 p.. Ces actes dramatiques constituent les seuls moyens d’expression de celles et ceux que les politiques migratoires condamnent à l’invisibilité, Au-delà, ils montrent que les murs derrière lesquels on veut les rendre inaccessibles au regard extérieur font aussi obstacle au respect des droits, et du droit.

Ce sont ces murs et ces obstacles que le réseau Migreurop veut contribuer à faire tomber, en donnant à voir la réalité cachée de l’enfermement des migrant-e-s.

Un réseau contre les camps

Migreurop est un réseau d’associations, de militants et de chercheurs originaires de plusieurs pays de l’Union européenne, d’Afrique Subsaharienne, du Maghreb et du Proche-Orient, dont l’objectif est d’identifier, faire connaître et dénoncer les politiques européennes de mise à l’écart des migrant-e-s, jugés indésirables sur le territoire européen, ainsi que leurs conséquences sur les pays du Sud. Depuis 2002, Migreurop tente de recenser ces lieux d’enfermement afin d’en faire connaître l’existence à la société civile. La «Carte des camps», dont la première édition date de 2003, est la pierre angulaire du travail de sensibilisation mené par le réseau. CO

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La liste des 33 camps en Suisse

33 camps: (Les chiffres entre parenthèses indiquent la capacité officielle des camps. Les «?» signifient qu’il manque des données récentes)

Aarau-Amtshaus Bezirksgefängnis (11) / Altstatten Empfangs-und Verfahrenszentrum (?) / Altstatten Regionalgefängnis (18) / Appenzel kantonales Polizeigefängnis (6) / Basel Empfangs-und Verfahrenszentrum (?) / Basel-Stadt Ausschaffungsgefängnis (63) / Basel-Stadt Untersuchungsgefängnis (4) / Bazenheid Ausschaffungsgefängnis (12) / Bennau Kantonsgefängnis Sicherheitsstutzpunkt Biberbrugg (8) / Bern Regionalgefängnis (136) / Chiasso centro di registrazione (?) / Egolzwil Ausschaffungsgefängnis Wauwilermoos (14) / Fribourg prison centrale (9) / Genève aéroport centre d’enregistrement et procédure (33) / Genève établissement concordataire de détention administrative de Frambois (20) / Genève maison d’arrêt de Riant-Parc (?) / Glarus kantonales Gefängnis (6) / Granges centre de rétention de Crêtelongue (?) / Grisons Justizvollzugsanstalt realta prison (16) / Kreuzlingen Empfangs-und Verfahrenszentrum (?) / Neuchâtel établissements de détention de la promenade (2) / Niederteufen kantonales Gefängnis (12) / Sarnen Kantonspolizei (2) / Schaffhausen kantonales Gefängnis (2) / Solothurn Untersuchungsgefängnis (53) / Stans Untersuchungs-und Strafgefängnis (37) / Thurgau Kantonalgefängnis (6) / Vallorbe centre d’enregistrement et de procedure (276) / Widnau Gefängnis (8) / Witzwil Anstalten (36) / Zug kantonale Strafanstalt (45) / Zurich Dienst Flughafenverfahren (?) / Zurich Flughafengefängnis (106).

Notes[+]

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