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Recréer la vie dans les camps de réfugiés

AGORA HUMANITAIRE • Les camps, c’est souvent du provisoire qui dure. En matière de gestion, le HCR fait preuve de priorités ambitieuses, soumises à la générosité des pays donateurs.

Dans la région semi-aride du nord-est du Kenya s’étend le plus grand camp de réfugiés au monde: Dadaab. Ouvert dans l’urgence au début des années 1990, avec une capacité d’accueil de 90000 personnes, il abrite aujourd’hui près d’un demi million de réfugiés, en très grande majorité des Somaliens. La longévité de Dadaab, c’est celle de l’inexorable descente aux enfers de la Somalie.
Malgré l’inconfort et les carences, les réfugiés de Dadaab qui ont fui la guerre et la misère ont réussi à recréer un semblant de vie en commun, en important les traditions et les coutumes du pays, parfois hélas sexistes, mais contre lesquelles veillent scrupuleusement le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) et la myriade d’ONG qui travaillent dans le camp. Bien que le Haut commissariat en ait fait une priorité, l’éducation des filles souffre cruellement du manque d’écoles, lesquelles ne sont fréquentées que par seulement 12 % d’entre elles.

Des réfugiés de troisième génération. Environ 10'000 jeunes à Dadaab sont des réfugiés de la troisième génération; ils y sont nés, de parents réfugiés eux-mêmes nés sur place. Divisé en trois camps –Ifo, Dagahaley et Hagadera–, Dadaab, situé à une centaine de kilomètres de la frontière somalienne, est une immense étendue de tentes blanches parsemée de maisonnettes en terre cuite rouge que les plus anciens réfugiés ont érigées au fil des années.
Le ravitaillement de Dadaab, dont la population est comparable à la ville de Toulouse, est un véritable casse-tête pour le HCR, dont c’est «le camp le plus congestionné et le plus reculé du monde». Deux avions chaque semaine le relient à Nairobi, la capitale kényane. Les camions font une navette incessante: sept heures de route dont trois sur des chemins de sable et de roche.
L’enlèvement de trois travailleurs humanitaires, en octobre 2011, a encore compliqué la tâche, avec des restrictions de sécurité sur les mouvements à proximité du camp. «L’assistance vitale n’a pas été interrompue, ni même le fonctionnement des écoles ou la campagne de vaccination de nouveaux arrivants», précise toutefois le HCR, tout en reconnaissant les très difficiles conditions de vie de ces réfugiés. Ils ne peuvent aspirer à aucune forme d’indépendance alimentaire, comme ce peut être le cas dans d’autres camps en Afrique, en raison notamment du milieu désertique et des impératifs de sécurité. Les réfugiés sont ici davantage appelés à participer à la gestion des camps ou travaillent pour les ONG.

Libre circulation et camps fermés. «L’ouverture de camps est le choix des pays hôtes, souligne le HCR. Lorsque l’accueil est favorable, les camps peuvent devenir des villages qui communiquent avec le voisinage. Mais quelquefois, les autorités du pays d’accueil n’autorisent pas la libre circulation des réfugiés et ils doivent s’installer par centaines de milliers dans des régions difficiles comme à Dadaab, ou dans des camps fermés comme en Thaïlande, à la frontière avec la Birmanie», explique Philippe Leclerc, représentant en France du HCR. Pour les réfugiés tchadiens au nord du Cameroun, également confinés dans des camps, le Haut commissariat a obtenu qu’ils puissent disposer de terres pour cultiver le coton. Une économie locale s’est ainsi mise en place, avec des retombées pour les réfugiés et le niveau de vie du camp.
Mais, quelles qu’en soient les conditions, l’«encampement» des réfugiés, selon le néologisme de l’anthropologue et ethnologue Michel Agier, est «un choix politique cruel». Au bout d’une décennie d’enquêtes de terrain, Michel Agier a posé un regard critique sur le travail des organisations humanitaires et leur gestion de ces «indésirables».

Des lieux de quarantaine. «Depuis une vingtaine d’années, affirme-t-il, la dimension protectrice semble se retourner contre les personnes sur lesquelles on est censé veiller. Le camp est devenu le lieu d’une mise à l’écart, d’une quarantaine et d’un contrôle. Il s’installe dans la durée, et avec elle cette vie en suspens pour ceux qui y vivent.» Le HCR en est assurément conscient. Après des réformes internes lancées en 2006, ayant permis de dégager des ressources supplémentaires pour les opérations sur le terrain, la plus grande attention est actuellement tournée vers les réfugiés qui sont dans les camps depuis plus de cinq ans. A ce sujet, le haut commissaire Antonio Guterres a rappelé la nécessité de combler les lacunes dans le domaine de la gestion de ces camps, afin d’assurer la protection des personnes les plus vulnérables, de s’attaquer aux pandémies, à la malnutrition, à l’approvisionnement en eau et à l’assainissement, ainsi qu’à l’obtention de plus de bourses d’études pour les jeunes réfugiés. Des priorités ambitieuses dont la réalisation demeure tributaire de la générosité des pays donateurs.
Cela passe par la sensibilisation de l’opinion publique internationale sur l’ampleur des tragédies humaines qu’entraînent les conflits et les violations des droits humains.

* Journaliste. Article paru dans Les blogs du Diplo http://blog.mondediplo.net/

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